Youri Gagarine, premier homme dans l'espace, mort en 1968 -faut-il le rappeler- vient d’être déchu de ses honneurs par l’organisation américaine Space Foundation qui a modifié l’ordre du jour de son prochain symposium spatial, en renommant la fête de collecte de fonds appelée auparavant «La nuit de Yuri».
Cachez-moi ce Russe que je ne saurais voir!
C’est ce qu’a appliqué de son côté, au pied de la lettre, la mairie de la localité luxembourgeoise de Mondorf-les-Bains, recouvrant d’une toile le buste du légendaire cosmonaute érigé dans le domaine du parc thermal.
Avant de sanctionner les morts russes, on avait commencé par les vivants. Et c’est le domaine sportif qui a donné le départ.
On a pourtant toujours voulu croire naïvement qu’il ne fallait pas mélanger la politique et le football jusqu’à ce que la Fifa n’exclue la Russie de la Coupe du monde 2022; comme on a toujours su que ce sport de compétition n’était pas le royaume de solidarité rêvé pour les peuples opprimés et pour les pays illégalement envahis et ravagés.
Dans la foulée, l'UEFA a banni les clubs russes des compétitions européennes et a délocalisé la finale de la Champions League de Saint-Pétersbourg au Stade de France de façon à ce que ne soit pas perdu pour tout le monde.
Suivis de ce pas: l’Union internationale de patinage, puis le Comité international paralympique visant les athlètes russes et biélorusses.
Même l’élitiste Formule 1 n’y a pas coupé! Et c’est le jeune pilote moscovite Nikita Mazepin, qui en fait les frais, écarté par l’écurie américaine Haas.
Son père, souffle-t-on, entretiendrait des liens étroits avec Vladimir Poutine, surnommé par certains non-intimes, Vlad, dans un rapprochement assumé -Excusez du peu!- avec Vlad l’empaleur, le comte Dracula, vampire des Carpates.
Bien vite, le monde des arts rejoignit le ballet lugubre: annulations à tire-larigot, artistes voués aux gémonies jusqu'à nouvel ordre ou un positionnement clair et net.
J’essaie de me rappeler à quelle date au juste on en avait demandé autant aux artistes et sportifs issus de pays rendus par ailleurs célèbres pour leurs assauts guerriers meurtriers avant d’édicter aujourd’hui ce type de punitions collectives.
La célébrissime soprano Anna Netrebko, qui a dû annuler un récital au Musikhuset sous la pression de la municipalité de la ville d'Aarhus au Danemark, ainsi que tous les concerts prévus au Metropolitan Opera de New York, a décidé depuis, de se retirer temporairement de la scène.
Elle s’exprime ainsi dans un post Instagram au sujet des artistes sommés d’exprimer leur opinion: «tout d'abord, je suis opposée à cette guerre. Je suis russe et j'aime mon pays, mais j'ai beaucoup d'amis en Ukraine et la douleur et la souffrance actuelles me brisent le cœur (…) Je tiens toutefois à ajouter qu'il n'est pas juste de forcer les artistes, ou toute autre personnalité, à exprimer leurs opinions politiques en public et à dénoncer leur pays d'origine. Cela devrait être un choix libre. Je ne suis pas une personne politique. Je ne suis pas un expert en politique. Je suis une artiste et mon but est d'unir au-delà des clivages politiques».
Qu’importe! Nous ne sommes pas à un amalgame près! Le Royal Opera House de Londres a annulé des représentations du Bolchoï prévues cet été.
La Philharmonie de Paris a déprogrammé les concerts de l'Orchestre du Théâtre Mariinsky, l’un des plus vieux orchestres de Russie, dont le maesrto Valery Gergiev est limogé par ailleurs de la direction de l'Orchestre philharmonique de Munich, de Carnegie Hall à New York ou de la Scala de Milan.
Même le jeune pianiste Alexander Malofeev qui a dénoncé publiquement la guerre a vu ses trois concerts annulés avec l’Orchestre symphonique de Montréal.
Et pour aller chaque fois un peu plus loin dans la surenchère, l'Orchestre Philharmonique de Zagreb a purement et simplement évincé de son répertoire des partitions de Tchaïkovski.
Par mesure de représailles, pour m’inspirer des mots d’un auteur dont j’ai oublié le nom, les représentations du «Lac des Cygnes» peuvent se faire désormais avec de vilains petits canards.
Trêve de plaisanterie! Ce n’est pas le moment de rire. Si dans cette série grotesque vous croyez à un fake, sachez que même les chats russes ont rejoint le lot des damnés, bannis des compétitions internationales comme annoncé par la Fédération internationale féline.
Et puis quoi d’autre encore? Il ne manquerait plus que des autodafés des livres de Gogol, de Tolstoï ou de Maxime Gorki!
Voilà voilà, pas d’impatience, on y arrive… L'université de Milan avait bien tenté de fermer une série de cours sur Dostoïevski avant que la décision ne soit à son tour annulée à la suite de protestations indignées de représentants de la classe intellectuelle et politique transalpine dotés encore de raison au milieu de toute cette bassesse sidérale et de cette folie.
L’histoire contemporaine nous apprend que Soljenitsyne a eu la même chance en Vendée où des syndicats avaient demandé à rebaptiser le collège portant son nom, accusant l’auteur d’avoir été pro-Poutine de son vivant, devant le refus du conseil départemental.
Bref, si l’analyse des mesures de rétorsions économiques anti-russes reste du ressort des spécialistes, politologues et économistes, qui nous expliqueront dans quelle mesure elles pénaliseront le pouvoir politique en Russie sans se retourner contre l’envoyeur et contre les peuples qui n’y sont pour rien; on peut à une autre échelle se demander en quoi le sport, la littérature ou les arts russes menacent la paix mondiale.
Comment renier ses principes en passant d’un combat juste pour l’Ukraine à la chasse à l’homme… russe, qu’il soit mort ou vivant?
Depuis quand défend-on la liberté et la paix en mettant au ban des artistes, des livres ou des chaînes de télévision?
Pourquoi mélanger une langue, un peuple, une culture et la politique comme si le passé et le présent de toute la Russie se résumaient à la figure de Vladimir Poutine?
Enfin, n’y a pas un risque avec cette diabolisation de raviver les stigmates d’un néo-maccarthisme et d’exacerber en même temps le patriotisme russe contrairement à l’objectif initial espéré?
En attendant les réponses, en attendant aussi de voir le sort qui sera réservé au Pont Alexandre III à Paris, aux montagnes russes à Disney, au caviar sauvage des élites qui n’a d’égal que l’iranien, je fredonne tant que c’est encore permis, cette chanson de Gilbert Bécaud: «la place Rouge était blanche. La neige faisait un tapis (…) Je pensais déjà. Qu'après le tombeau de Lénine. On irait au café Pouchkine. Boire un chocolat…»