La Confrérie Tijaniya, le bon grain et l'ivraie

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ChroniqueDe tout temps, religion et politique sont allés de pair. Sauf qu’il y a une différence fondamentale entre spiritualité unificatrice franchissant paisiblement les frontières et velléités séparatistes, entre soft power et va-t-en-guerre.

Le 13/11/2021 à 11h00

«Parmi les conditions nécessaires au soufi, se trouve la sagesse», écrivait Ibn Arabi dans ses «Foutouhât al-Makiyya».

Et c’est manquer de discernement que de s’aligner aveuglément sur des allégations aux allures martiales, sans fondement, là où la sagesse impose recul et apaisement.

Rappel des faits: aussitôt que le communiqué de la présidence algérienne avait fait part du «lâche assassinat» de trois routiers sur l’axe Ouargla-Nouakchott par le truchement d’une arme sophistiquée, en accusant le Maroc sans même attendre les résultats des investigations, l'Ordre algérien des Tijani a choisi de prendre la version militaire pour «parole d'Évangile» et d’épouser la ligne d'escalade, en y ajoutant des expressions d’éloges et de soutien sans réserve au régime, face à ce qui a été désigné comme une agression «sur la route de la paix et de la sécurité».

L’état-major mauritanien avait pourtant bien démenti la fausse information qui avait circulé sur la prétendue attaque en territoire mauritanien, obligeant le Palais de la Mouradia à maintenir le flou sur le lieu du drame –tandis que la date s’avérera fausse- sans expliquer pourquoi les camionneurs civils ont opté pour une zone militaire marocaine interdite de circulation (lieu confirmé par l’enquête des Nations Unies), plutôt que d’emprunter la route algérienne qui mène directement vers le passage frontalier.

L’on est donc surpris dans ce climat tendu où le Secrétaire général de l’ONU a réitéré son appel à l’amélioration des relations, de voir l’alignement au pied de la lettre, sur les intentions belliqueuses et sur le tohu-bohu officiel par ceux-là même qui sont censés promulguer la paix et la fraternité.

La réponse est une leçon de pondération et de maturité. Elle émane de la Voie Tijaniya au Maroc, qui a appelé en substance, via un communiqué, à préserver l’alliance et à conseiller les gens dans l'esprit de la Tariqa, loin des affres de la discorde.

On reconnaît l’arbre à ses fruits.

Quel déploiement aurait été possible pour cette confrérie si elle n’avait pas prôné la cohésion et la conduite de l’Homme vers la purification et vers la conquête de la plus noble de ses dimensions?

Sans vouloir verser dans des divergences stériles, il n’y a pas de mal à évoquer quelques données de l’histoire et de rendre à César ce qui appartient à César...

C’est bien à partir de Fès, où repose la sépulture de l’ancêtre, Sidi Ahmed Tijani, où se trouve sa Zaouïa principale, où réside une partie de ses descendants et où affluent adeptes et pèlerins en une tradition séculaire nourrie par une intense production intellectuelle, que la confrérie a assuré un rayonnement exceptionnel vers le Sahel et vers l’Afrique de l’Ouest, particulièrement au Sénégal qui compte des millions d’adeptes.

Un transmetteur décisif, parmi les nombreux savants tijanis de Bilad Chinguetti, fut Mohamed al-Hafiz, qui s’initia à la Voie à Fès auprès du cheikh, y initia sa tribu marquée auparavant par l’empreinte de la Qadiriya, contribua à lui faire franchir le Sahara, à destination notamment du Sénégal ou de Guinée via d’autres adeptes de la stature de Mawlud Val qui s’était rendu deux fois à Fès, du savant peul Abd-al-Karim Naqil ou du cheikh Omar Tall, personnage de légende, fondateur de l’empire toucouleur…

C’est aussi un fait que Sidi Ahmed Tijani est né vers 1737 dans la petite ville de Aïn Madhi, au pied du mont Amour, au sein d’une famille que certaines traditions généalogiques n’hésitent pas à relier à la plaine atlantique Abda.

Quoi qu’il en soit, Sidi Ahmed Tijani avait quitté Aïn Madhi, une première fois en quête d’initiation et de savoir à destination de Fès, du Mont Habib, de Labiodh durant cinq années, de Tlemcen, puis de là, La Mecque, Medine, le Caire, Tunis et encore Fès en 1777, toujours en côtoyant de grands maîtres…

Ensuite, il s’éloigna de Aïn Madhi pour une retraite mystique dans l’oasis de Boussemghoun près de Labiodh Sidi Cheikh, avant de prendre la direction de Fès en 1798 en compagnie de ses proches et de ses disciples.

Là, il eut les faveurs du sultan Moulay Slimane pour son soufisme salafiste, puisant dans les sources authentiques; ce qu’on a qualifié de «mystique minimiste», rompant avec les chaînes initiatiques qui l’ont précédée et s’attachant à la figure prophétique. D’où l’appellation «Voie mohamédienne».

Pour ceux qui sont frileux à l’évocation du phénomène confrérique, rappelons juste, entre autres de ses rôles, la diffusion de l’enseignement religieux et profane, aidé en cela par un large réseau de zaouïas et par les disciples et les marchands.

Cela fut le cas avec la Qadiriya (attachée à la figure du grand mystique et théologien, inhumé à Bagdad, Moulay Abd-al-Qadir Jilani) qui joua un rôle important dans la propagation de l’islam à Java, à Bornéo dans l’océan Indien, en Inde, en Chine, au Caucase, dans quelques pays d’Europe de l’Est et en Afrique de l’Ouest. Là, la Qadiriya connut un bel épanouissement du Sénégal au Bénin et vit fleurir de nombreuses ramifications comme la Moukhtariya, la Fadiliya, la Ayniya, la Bekkaïya…

Que l’on ne s’y trompe pas! De tout temps, religion et politique sont allés de pair. Sauf qu’il y a une différence fondamentale entre spiritualité unificatrice franchissant paisiblement les frontières et velléités séparatistes, entre soft power et va-t-en-guerre.

Car voilà que, sur le tard, l’Algérie où le soufisme n’était pas particulièrement en odeur de sainteté, tenta de se saisir de la manne.

A lire dans ce cadre, la thèse de Foad Khatir consacrée au «changement de politique algérienne à l’égard des confréries religieuses musulmanes: de la persécution à la réhabilitation», allouée à l’exemple particulier de la Alawiyya.

«Il fallut attendre le contexte de la guerre civile (1991-2002), écrit le docteur en histoire, pour que les confréries se voient progressivement réhabilitées dans leurs fonctions éducatives, religieuses et sociales. Mais elles n’échappent pas aux tentatives d’instrumentalisation politique dans la persécution comme dans la réhabilitation».

Dans le cas de la Tijaniya, le déclic s’est opéré en 1983 avec le rapatriement à Aïn Madhi de la dépouille du descendant du grand cheikh, de son nom Mohammed El Habib, qui était établi au Sénégal.

A ce titre, un amalgame était entretenu pour faire croire qu’à Aïn Madhi repose le grand cheikh, dans l’espoir de semer la confusion avec la présence de la dépouille du petit-fils, qui porte le même prénom, connu pour avoir épousé à Alger la Française Aurélie Picard, rencontrée à Bordeaux avant de s’établir au palais de Kourdane…

En 2006, viendra l’organisation du premier colloque sur la Tariqa Tijaniya par le régime algérien, non sans essuyer boycotts et rebuffades.

Pas plus tard qu’en octobre dernier, un autre forum était organisé par le pouvoir algérien afin de tenter d’assoir Aïn Madhi comme la référence de l'Ordre à la place de Fès, considérant son sol comme le siège du califat mondial.

Et c’est encore au dernier communiqué de la Macheikha de la Tariqa Tijania au Maroc que nous laissons la réponse: «toute polémique autour du lieu de naissance ou d'enterrement, n'est au final qu'une discussion oiseuse. L'important, ce sont les enseignements de la Tariqa qui n'a pas de frontières spatiales, non plus que temporelles».

Tout le reste, dit l’ecclésiaste, est «vanité des vanités… tout est vanité».

Par Mouna Hachim
Le 13/11/2021 à 11h00