Dans certains esprits, le désert est associé à d’infinies étendues de dunes sans vie. C’est ignorer ses paysages contrastés et ses villes légendaires: Aoudaghost, Oualata, Aretnana... Aujourd’hui enfouies dans le sable.
C’est méconnaître aussi son histoire et le rang de pôles considérables, telle la mythique Tombouctou, qui comptait plus de 80 bibliothèques privées et recevait, aux XVe et XVIe siècles, près de 25.000 étudiants répartis entre ses 180 écoles coraniques et sa mosquée-université de Sankoré!
Depuis des millénaires, le Sahara forme un des plus anciens foyers de peuplement du monde. Les traces archéologiques et études scientifiques concordent à affirmer qu’il verdoyait il y a de cela quelques dizaines de milliers d’années.
A la suite d’un lent processus de changement climatique, les populations sahariennes se dirigèrent vers les forêts tropicales, vers la vallée du Nil ou vers les oasis, points d’eau et bords des fleuves, notamment au sud du Maroc.
Loin de constituer une barrière infranchissable entre l’Afrique «noire» et l’Afrique «blanche», le Sahara reste un passage obligé et un lieu de brassages de populations leucoderme et mélanoderme.
Pour nous informer en ce sens, l’art reste une source incontournable.
Dans son ouvrage consacré à l’art rupestre au Maroc, Alain Rodrigue le définit comme étant «exclusivement saharien» en dépit de sa distribution géographique.
Il en est ainsi pour les gravures de la région de Figuig ou du Haut Atlas.
Ses artisans Proto-Berbères connaissent un Sahara encore humide et laissent voir à travers les témoignages rupestres, une société raffinée et structurée.
Ils sont les ancêtres des Paléoberbères de l’Antiquité, décrits dans les sources égyptiennes, puis grecques.
Chez les auteurs hellénistiques à titre d’exemple, les descriptions ne manquent pas, relatives aux différentes tribus dont celle des Garamantes, conducteurs de chars tirés par des chevaux, maîtres d’une civilisation urbaine dans le Fezzan en Tripolitaine.
Parmi leurs caractéristiques: leur façon unique de monter à cru, leurs procédés de dressage, leur système d’attelage du char et cette roue antique particulière datant du Ve siècle av. J.C., conservée au musée de Brooklyn...
Gabriel Camps précise que ces chars sont figurés «dans toutes les régions sahariennes, où gravures ou peintures sur rocher fut possible, de la Mauritanie aux confins du Tibesti, de l’Atlas à la boucle du Niger».
Dès cette époque apparaissent aussi les inscriptions libyco-berbères et signes géométriques encore vivaces dans l’art traditionnel.
Dans ce cadre, Emile-Félix Gautier évoquait cette permanence berbère au Sahara et son caractère «étonnamment conservateur».
Durant l’ère médiévale, et dans une continuité évidente avec les précédentes, plusieurs tribus nomades peuplaient le Sahara avec une prédominance pour les Sanhaja dans sa partie occidentale.
Grands nomades chameliers, ils sillonnaient plusieurs siècles avant l’islam le vaste espace allant des montagnes de l’Atlas jusqu’aux rives du fleuve Sénégal et depuis l’Atlantique à l’oasis de Ghadamès en Libye.
Réputés pour leurs activités caravanières, ils monopolisaient le commerce de l’or à travers la grande route commerciale, dite Triq Lemtouni, du nom d’une de leurs tribus.
Celle-ci donne comme premier roi, avec la fondation du mouvement almoravide, Youssef ben Tachfine, établi dans la capitale impériale, Marrakech.
Son cousin, Abou-Bakr ben Omar, étendit, quant à lui, les conquêtes davantage vers le Sud en reprenant Aoudaghost en 1054 du royaume du Ghana, grâce à l’appui des Lemtouna et des Toucouleurs avant d’être tué au combat. Il est inhumé dans le Tagant après avoir laissé sa femme toucouleur,
Fatoumata Sall, enceinte de son fils Ndiadiane Ndiaye, considéré par la tradition comme le fondateur du royaume Djolof au Sénégal.
Parmi les autres tribus de ce groupe figurent les Lamta, au nom rapproché de lamt, antilope oryx dont la peau sert à confectionner un fameux bouclier, décrit par le géographe al-Idrissi comme «le plus parfait que l’on puisse imaginer», fabriqué dans la ville de Noul-Lamta, identifiée à la ville actuelle d’El-Ksabi.
Comment ne pas mentionner également la tribu Targa (au pluriel, Touareg), fondateurs de Tombouctou? Ils ont donné leur appellation à la ville de Targa, près de Qsar Souq, qui connut sa chute avec l’apogée de sa voisine Sijilmassa.
Ils sont aujourd’hui répartis entre différents pays, avec ce que cela impose comme tourments engendrés par les absurdes découpages hérités de l’ère coloniale, leurs sédentarisations forcées et les désastreuses politiques de l’Après-Indépendance.
Citons également les Messoufa dont l’une des branches est formée par les Tajakant aux importantes fractions dans l’Ouest saharien. Fondateurs de Tinigui entre Chinguetti et Ouadane, on leur doit également la reconstruction en 1840 de leur deuxième capitale historique, Tindouf, à l’instigation du cheikh Mohamed Mokhtar ben A’mach. Parmi ses fils, possesseurs d’une précieuse bibliothèque, figure le savant Ahmed Tajakanti, surnommé Dogna, nommé par décret du sultan Hassan Ier, cadi des Tajakant.
Enfin, concluons à titre non exhaustif avec les Goudala, probable survivance du peuple antique des Gétules (les Gaetulus des historiens romains) qui constituaient un seul et même peuple avec les Gzoula, selon Ibn Khaldoun, et dont les traces sont notoires notamment dans le Souss.
En 1053, leur chef, Yahya ben Ibrahim al-Goudali, fut l’initiateur du mouvement almoravide, dont le chef spirituel était Abd-Allah ben Yacine, originaire de Tamanart, sur le versant sud de l’Anti-Atlas.
Bien d’autres groupes ethniques se sont brassés dans cet espace, comme les Zenata, cavaliers nomades rivaux des Sanhaja qui s’imposèrent en tant que maîtres des oasis sahariennes.
Le Sahara connaît aussi la présence arabe, avec l’arrivée des premiers islamisateurs dont seraient issus les Oulad Tidrarine.
Puis, ce fut le tour des Bédouins Maâqil, considérés d’origine yéménite, arrivés par vagues successives depuis le XIe siècle, tandis que d’importantes fractions s’élancèrent vers le Nord où elles jouèrent un grand rôle comme tribus guerrières, proches du pouvoir, sous les règnes saâdien et alaouite (Zirara, Chbanate, Mghafra, Oudaya, Amarna...) installées près des principales villes et forteresses du Royaume.
Par ailleurs, plusieurs dynasties sont liées au désert. En plus des Sanhaja almoravides figurent les Zénata, fondateurs notamment de la principauté des Béni Midrar à Sijilmassa, deuxième fondation musulmane importante au Maghreb après Kairouan, et cité florissante 32 ans avant la fondation de Fès, jouissant de sa position de carrefour entre les centres caravaniers, les mines d’or de Bilad Soudane, les grandes cités de l’Est jusqu’en Orient et, dit-on, jusqu’en Inde.
Que dire des Saâdiens, conquérants du Soudan, installés dans la vallée du Draâ qui formait une plaque tournante pour les échanges subsahariens!
Ils se démarquent par la libération des côtes de la présence portugaise avec l’aide des tribus sahariennes qui accompagnèrent leur marche victorieuse vers le Nord.
La dynastie alaouite au pouvoir, n’est-elle pas elle-même issue du Sud, depuis que son aïeul Hassan Dakhil s’était établi au XIIIe siècle depuis l’oasis de Yanbou’, au Tafilalet, dont les prolongements ethniques et géographiques s’étendaient jusqu’aux confins du désert?
Cette vaste province, célèbre pour son rôle de creuset humain et pour sa capitale prestigieuse, Sijilmassa, couvrait une large superficie englobant le bassin de l’Oued Ziz, «tout le Touat, l’ensemble de la Saoura, la région de Tindifis –aujourd’hui Tindouf (…) même le pacha de Tinbouktou dépendait du khalifa du sultan à Sijilmassa, et plus tard, de Qsar-es-Souk», écrit Mohamed Boughdadi.
Sous le règne du sultan Moulay Ismaïl, dont l’épouse Khenata bent Bekkar est une saharienne du clan Mghafra, un important groupe s’établit dans la région d’Oued Noul à partir du Tafilalet, et forma des familles fondatrices d’un ensemble de zaouïas dont celle des Âl Sidi Boubker…
Dans ce même ordre, les Filala comptent encore aujourd’hui parmi les différentes tribus sahraouies.
Pour dire aussi, que si l’Afrique septentrionale appartient incontestablement à la Méditerranée et à la «civilisation de l’olivier», cela ne minimise en rien l’ampleur de son ancrage aux profondeurs du continent africain.