Les femmes au gouvernement et toutes les autres…

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ChroniqueHier et aujourd'hui, malgré l’invisibilité passée et le chemin à parcourir, les femmes agissent sur le plan politique, que ce soit à l’ombre ou en pleine lumière, battant en brèche tous les préjugés…

Le 16/10/2021 à 11h01

Femmes ministres aux commandes dans le nouveau gouvernement à la tête de départements stratégiques, femmes maires dirigeant pour la première fois au Maroc des villes d’envergure, de quoi marquer un pas significatif sur la longue voie de la parité, tout en renvoyant signaux forts et reflet d’une société en mouvement.

Que de chemin parcouru comparativement avec les législatures précédentes et surtout avec une histoire racontée par les hommes, cantonnant la gente féminine dans la sphère privée.

Que dire de cette allégation en vogue dans certains esprits, selon laquelle l’islam interdirait aux femmes d’accéder au pouvoir politique! On invoque dans ce cadre un hadith, «nul peuple ne prospérera sous le règne d’une femme», dont la Dr. Asma Lamrabet a effectué une analyse critique.

D’autres récits venus d’ailleurs, non satisfaits de se complaire dans les clichés fantasmagoriques sur la femme musulmane éloignée des affaires du monde, la dépeignent comme étant dévolue à la perpétuation de l’espèce, occupée à se languir dans son harem en se gavant de cornes de gazelle.

Vous l’avez peut-être deviné, c’est vers l’histoire ancienne que nous allons orienter le regard…

Malgré la rareté des profils et l’avarice des sources, se profilent quelques figures remarquables.

Commençons par le règne idrisside avec la personnalité de Kenza l’Awrabienne sur les recommandations de laquelle, son petit-fils Mohamed fils d’Idris, aurait pris une décision capitale en 828 en désignant chacun de ses frères à la tête de provinces administrées en son nom.

Pendant le règne almoravide, au XIe siècle, s’impose Zaynab la Nefzaouienne.

C’est à Aghmat qu’elle avait vu le jour au sein d’une famille d’origine berbère issue de Kairouan. Là, elle avait commencé par épouser le seigneur de l’Ourika; puis, après son divorce, le prince zénète d’Aghmat, Leqqout le Maghraoui; et de convoler en troisièmes noces avec le chef des armées almoravides, Abou-Bakr, vainqueur de son époux qui avait été passé au fil de l’épée. Lorsqu’Abou-Bakr dut quitter Aghmat dans le cadre de ses expéditions périlleuses dans les confins méridionaux, il consentit à se séparer de son épouse qui répugnait à une telle équipée dans le désert. C’était le point de départ d’une parfaite idylle concrétisée par une union matrimoniale avec le cousin et lieutenant-général, considéré comme le premier sultan de la dynastie, Youssef ben Tachfine, auprès duquel elle joua un rôle politique certain.

On dit que c’est elle qui avait conçu les plans de Marrakech en attendant le retour d’une expédition de son époux, maître des Deux Rives, lequel s’empressa de bâtir la capitale selon ses plans, n’hésitant pas à déclarer en public, que Zaynab était ce qu’il avait de plus précieux.

D’autres femmes surgissent ici et là au fil du temps, notamment au XVe siècle, au début de la dynastie ouattasside, avec une personnalité énigmatique dont les sources relatent le règne d’un an sur la ville de Fès.

Les faits se situent juste après le gouvernement éphémère de sept ans d’un membre de la famille idrisside du clan des Joutey, survenant au moment de la décadence mérinide pour prendre fin dans le Vieux Fès avec son exil en Tunisie par le Ouattaside Youssef ben Mansour.

Celui-ci confia alors le commandement de la ville à sa sœur, Zahra, surnommée Zhor.

Les récits en disent si peu de choses hormis le fait qu’elle ait gouverné Fès pendant un an, avec l’aide du caïd Sjiri, jusqu’à l’entrée du cousin ouattasside Mohamed Cheikh à Fès où il fut proclamé en 1472.

La dynastie suivante est celle des Saâdiens qui avait vu émerger des personnalités féminines de la stature de Messaouda al-Ouazguitiya, dite Lalla Aouda, mère d’Ahmed al-Mansour ou Sahaba, issue du clan saharien des Rhamna, mère du demi-frère du précédent, Abd-el-Malek qui trouva la mort durant la bataille des Trois rois.

Les chroniques retiennent le séjour de Sahaba Rahmaniya auprès de ses fils au palais du Bosphore à la cour du sultan ottoman, ainsi que sa remise en 1575 en tant qu’ambassadrice d’une missive de Abd-al-Malek, faisant état de son exploit à la bataille de Tunis libérée de l’offensive espagnole et se soldant par l’établissement de la régence de Tunis sous tutelle turque.

Mais c’est sans doute la captivante Al-Horra qui remplit de longues pages, désignée dans les correspondances chrétiennes comme étant "La noble dame".

Son père n’est autre que l’émir des Beni Rachid, descendant du saint vénéré du mont Allam, Moulay Abd-Salam ben Mchich; alors que sa mère est Espagnole, née Caterina Fernández.

Al-Horra est née dans la ville de Chefchaouen, fondée par son père en tant que terre d’accueil pour les exilés musulmans et juifs et base de combat contre les Ibères; non loin de Tétouan, rebâtie par les Mandari andalous dont Al-Horra épousa le neveu en 1510.

Les sources restent muettes sur des pans entiers de son enfance. Même son prénom ne fait pas l’unanimité, donnant tantôt Fatima, tantôt Aïcha, mais imposant pour tous son surnom de Sayida al-Horra, "la Dame Libre".

Certains auteurs pensent qu’elle a co-régné sur Tétouan auprès de son époux depuis leur union, le remplaçant dans la gestion des affaires alors qu’il se trouvait sans cesse en mouvement dans le cadre de ses opérations militaires.

Nul doute qu’avec la mort de celui-ci en 1518, Al-Horra a pris la direction de la cité auprès de son frère Ibrahim, qui lui aurait cédé la gestion en 1525.

A l’aide de son armée et de son arsenal, Al-Horra dirigea le trafic naval et les entreprises corsaires dans l’ouest de la Méditerranée, après avoir conclu des accords avec le fameux amiral-corsaire basé à Alger, Kheir-Eddine (Barberousse) qui en contrôlait quant à lui la partie orientale.

Armant des navires de course mouillés à l’embouchure du Martil, elle avait mené avec lui plusieurs opérations.

Depuis Tétouan, rapporte le professeur Mohamed Ben Azouz Hakim, les corsaires d’Alger accompagnés de cinq bâtiments tétouanais lancèrent le 10 septembre 1540, un raid contre Gibraltar.

Les corsaires d’al-Horra ont causé par ailleurs des dommages aux navires portugais de Sebta occupée et aux flottes ibères de passage dans le détroit.

Plusieurs autres exemples démontrent qu’elle a non seulement dirigé temporellement des hommes mais mené des opérations jihadiennes qui relèvent du domaine spirituel.

Le succès de ses activités, le poids de sa famille et des cités-Etats affiliées de Chefchaouen et de Tétouan, ont fini par conduire le sultan Ahmed le Ouattasside à demander sa main.

Contrairement à tous les usages protocolaires, la cérémonie se déroula à Tétouan et non à Fès, la capitale, donnant une idée sur la stature d’al-Horra, maîtresse dans son domaine vers laquelle affluait le cortège royal.

Comment conclure cette brève esquisse sans évoquer toutes celles qui, sans être directement aux commandes, ont usé de leur poids au niveau politique, de la trempe de Khenata bent Bekkar, fille du chef de la tribu saharienne des Mghafra et épouse du sultan Moulay Ismaïl.

Ce fut une sultane savante, érudite, politicienne et diplomate, conseillère de son époux et «véritable héritière légale de Moulay Ismaïl» selon les mots de Magali Morsy.

Elle entretenait des relations diplomatiques avec les nations étrangères comme l’Angleterre ou la France dont le roi Louis XV avait envoyé une missive la désignant de "Grande sultane".

On lui doit notamment une lettre à la population d’Oujda; une aux Etats flamands datant de 1729 pour la libération de prisonniers captifs au Maroc, chargeant de la négociation le marchand juif Isaak Chmika…

Forte du poids de sa tribu Mghafra, branche des Oudaya, employée par Moulay Ismaïl dans son armée régulière, on la connait aussi pour le poids dont elle avait usé auprès du guich et pour ses intrigues légendaires afin de faire appeler sur le trône son fils Moulay Abd-Allah pendant la grave crise de succession qui avait duré 30 ans, à la suite de la mort du monarque ismaélien.

En somme, hier ou aujourd'hui, malgré l’invisibilité passée et le chemin à parcourir, ces femmes qui agissent à l’ombre ou en pleine lumière, nous disent les aberrations à la fois des doctrines rétrogrades infériorisant la femme et des préjugés couverts par des vœux d’émancipation, imbibés de représentations négatives sur la femme "orientale", présentée comme une éternelle soumise.

Par Mouna Hachim
Le 16/10/2021 à 11h01