Maroc, terre des saints… et des prophètes?

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ChroniqueD’après certains récits légendaires, des prophètes auraient foulé nos terres, invitant à revisiter autrement ce célèbre adage d’après lequel si l'Orient est le berceau des prophètes, le Maroc est la terre des saints.

Le 30/04/2022 à 12h03

Quand l’actualité se fait crispante, il reste l’envolée de l’imaginaire en compagnie de fabuleux mythes et légendes.

Dans ce réservoir plaçant l’action au fond des âges, figurent des récits singuliers qui font se mouvoir des prophètes en terre marocaine.

Stricte affabulation ou lien quelconque avec l’histoire? Sens ésotériques ou exercices des plus profanes portés par le folklore et par l’imagerie populaire?

Loin de moi la prétention d’en décoder la fonction symbolique ou d’en offrir des clefs de décryptage.

Le bonheur est parfois juste dans la découverte…

Notre énigmatique voyage commence dans ce creuset humain qu’est la vallée du Draâ.

Celle-ci aurait abrité des populations noires provenant d’Abyssinie, d’abord animistes puis chrétiennes, avant d’être évincées par les juifs dont la présence serait attestée depuis l’Antiquité, partageant la vallée avec les musulmans qui arrivèrent progressivement à partir du VIIe siècle jusqu’à l’avènement des Sahariens almoravides, maîtres du Draâ depuis le milieu du XIe siècle.

Pour ajouter au mystère, trois prophètes auraient foulé ces terres, invitant à revisiter autrement cet adage d’après lequel si l'Orient est le berceau des prophètes, le Maroc est la terre des saints.

Le très docte et imposant dictionnaire biographique et hagiographique «Salwat al-Anfas» (La Consolation des âmes) publié en 1894 par Mohamed ben Jaâfar Kettani rapporte en effet que les populations du Souss tiendraient pour sûr le fait que les montagnes se trouvant entre leur terre et le désert abritent les sépultures de trois prophètes.

Fuyant la persécution du roi de Babylone Nabuchodonosor, ces prophètes auraient pris la mer pour échouer sur le rivage de Massa avant de pénétrer à l’intérieur du Souss en direction de la Qibla, soit vers l’Orient.

Le premier prophète est Wilkennas, enterré au sommet d’une montagne entre Tizeght et Oued Isaffen. Son tombeau, bien que connu et visité, précise Kettani, ne connaît pas d’habitations dans son voisinage au risque de s'exposer à de redoutables visions.

Le deuxième est Chanaouel, inhumé à Tamedoult au pied de la montagne du côté du Sahara auprès des vestiges d’une ville ancienne (Tamedoult n’Akka, riche cité caravanière et minière à l’emplacement stratégique sur la voie du commerce transsaharien).

Le tombeau de Daniel, pour sa part, serait visible au village de Tazegzaout sur la rive droite de l’Oued Tagmout, où il aurait pour prodige de favoriser la pluie en cas de sécheresse.

Le philologue et historien Georges Séraphin Colin commente le récit en soulignant que le point commun entre les trois prophètes est le fait qu’ils soient enterrés à côté de mines argentifères, induisant le lointain souvenir d’une exploitation minière par des tribus juives avant l’islam.

Quoi qu’il en soit, ces sépultures sont respectées et sont l’objet, pour certaines d’entre elles, de manifestations cultuelles et de rassemblements.

Le tombeau de celui qui est appelé par les populations locales «Sidi Hizqil», «Sidi Wilkennas» ou «Sidi Nabi-Allah» (Monseigneur prophète de Dieu) est identifié au prophète Ezéchiel et est l’objet d’un moussem annuel au mois d’août, de même qu’une école traditionnelle porte son nom.

Chanaouel est identifié à Samuel alors que la tombe de Daniel à Tagemmout est dotée d’une coupole et intégrée à l’espace de la mosquée avec un mur séparant le lieu de prière et le lieu funéraire.

Fait marquant: la tombe mesure plus de 5 mètres de long. Une taille caractéristique partout où elle lui est attribuée notamment à Samarcande en Ouzbékistan, ou à Suse en Iran.

D’autres emplacements référant au lieu du repos sacré de Daniel existent par ailleurs, ou existaient, au passé, comme ce fut le cas pour la tombe de Daniel près de Mossoul en Irak, détruite en 2014 par Daesh au même titre que celle du prophète Jonas, réduite à un tas de pierres.

Il existe aussi dans la ville de Sefrou, au pied du Moyen Atlas, des cavités nommées Kehf Lihoud (grotte des juifs), creusées au flanc de la falaise qui auraient abrité Daniel.

Henri Basset écrit à ce propos: «on saisit sur le vif la tentative d’islamisation d’un vieux sanctuaire païen, et le désir d’expliquer d’une manière orthodoxe le culte rendu à la grotte à la fois par les juifs et par les musulmans».

Plus loin, sur le littoral atlantique cette fois, dans les environs de Souira Kdima, au sud de Safi, un tombeau d’une taille inhabituelle est attribué à Sidi Daniane.

L’historien de la ville, le théologien Al-Abdi Al-Kanouni, rapporte, en se basant sur d’autres écrits, qu’après les guerres opposant les fils de Noé, Ham aurait pris la direction de l’Egypte puis du Maroc, précisément la région de Safi où cette sépulture serait un témoignage de sa filiation.

Toujours sur le littoral atlantique, d’autres légendes de ce genre foisonnent.

Nous sommes, cette fois, au bord de l'oued Massa, qui est évoqué depuis l’Antiquité par le général et historien Polybe ou par le savant grec Claude Ptolémée dans sa Géographie.

Le fleuve laisse son nom à une ville antique, située à son embouchure sur l’Atlantique, citée notamment par Pline l’Ancien sous le nom de Masates.

Plus tard, son port, si l’on en croit l’historien et géographe Al-Yaâqoubi du IXe siècle, servait de mouillage aux bateaux venus d’Irak. «Dans le port de Massa, dit-il, accostent des bateaux qui chargent du blé comme ceux qui d’Obella partent pour la Chine.»

Massa s’illustra par ailleurs par sa mosquée et par son Ribat au bord de la mer.

Au XIVe siècle, Ibn Khaldoun évoquait le lieu en tant que refuge des saints et rappelle, tout en les dénonçant, les légendes messianiques et la ferveur populaire relatives à la sortie du Mehdi du Ribat de Massa.

En ce lieu de croyances millénaristes, circulait aussi un récit rapporté par Léon l’Africain, qui avait visité le lieu au XVIe siècle: le prophète Jonas aurait été craché ici des entrailles du cétacé, pour bâtir dans cette nouvelle demeure une mosquée à l’aide de carcasses de baleines qui s’échouaient sur la plage en raison des écueils aiguisés situés au large. 

Le premier auteur à avoir évoqué la mosquée de Jonas reste toutefois Ibn Idhari Al-Marrakouchi aux XIIIe-XIVe siècles.

Dans son «Kitāb al-bayān al-mughrib», il relate l’arrivée à Igli du conquérant du Maghreb Oqba ibn Nafiî, qui aurait conduit son cheval jusque dans les flots en proclamant:

«Que le salut soit sur vous, Amis de Dieu!».

Ses compagnons lui demandèrent alors l’identité de ses interlocuteurs. Ce à quoi il répondit: «Le peuple de Jonas, que le Salut soit sur lui.»

Aussitôt sorti de l’abîme, Jonas aurait construit un temple, réduit à l’état de rocher depuis sa désagrégation par l’eau de mer.

La «Pierre de Younes» n’en acquit pas moins une stature sacrée au point qu’un couvent fortifié fut érigé à ses côtés, dépassant par son aura spirituel son périmètre strict pour attirer le long des siècles des cortèges de pèlerins, avant qu’il soit à son tour envahi par les dunes de sable.

Pour seuls témoins subsisteront de vieilles pierrailles, d’abondants sanctuaires et des épaves de la mémoire, nous rappelant que cette région n’était pas terra nullius en matière religieuse et qu’elle est profondément ancrée dans la longue tradition d’Abraham.

Par Mouna Hachim
Le 30/04/2022 à 12h03