Le processus électoral est en marche. Le vendredi 6 août dernier, les élections professionnelles se sont tenues. Il y aura dans la prochaine chambre des conseillers pas moins de 20 membres issus des différents collèges électoraux élus à cette occasion. Les autres étapes suivront le 8 septembre avec la «mère des batailles» puisque ce même jour seront organisées les élections communales, régionales et celles de la chambre des représentants.
A trois semaines de l’ouverture officielle de la campagne électorale, quel est l'état des lieux? Les interrogations ne manquent pas. La première d'entre elles est celle-ci: quel sera le taux de participation électorale? Le chef du gouvernement, Saâd-Eddine El Othmani, espère mieux qu'en 2016 où celle-ci n'était que de 43% pour ce qui est de la chambre des représentantes Il a ainsi formulé et espéré plus de 45%... Difficile d'y voir vraiment plus clair. C'est qu'en effet cela signifierait que le calcul fait pour que le scrutin communal (53 % en 2015) tire vers le haut le chiffre modeste de 43% de la chambre des représentants en 2016 n'a pas tellement produit les effets escomptés.
Tout un chacun peut le constater sans peine: il y a peu d'engouement en l'état pour toutes ces élections des prochaines semaines. A quoi tient donc cette situation? C'est une autre interrogation. Le contexte sanitaire qui prévaut depuis mars 2020 avec la pandémie Covid-I9 pèse évidemment de tout son poids sur le déroulé normal de la vie électorale et politique. Des précampagnes électorales qui avaient démarré au début de l'année précédente ont dû être pratiquement stoppées par suite des mesures de confinement.
La crise sanitaire a ainsi marginalisé tout débat politique significatif. L'attention des citoyens se portait, au jour le jour, sur l'évolution dramatique de la pandémie. Et les partis ne pouvaient l'ignorer, décalés et «suivistes» par rapport aux mesures gouvernementales décidées pour faire face. Ils étaient ainsi inaudibles parce qu'absents du pouvoir décisionnaire. Que pouvaient-ils proposer en effet de bien différent, n'ayant pas la main, si l'on ose dire? Le déconfinement variable intervenu se voit, depuis le mardi 3 août, revu et corrigé dans un sens plus restrictif encore. Aujourd'hui, de nouvelles règles plus strictes limitent drastiquement les réunions publiques à 25 personnes! Allez faire une campagne électorale avec une telle jauge! Plus de grandes réunions publiques! Ni de meetings, comme à l'ordinaire. Les partis vont-ils s'adapter à ce corset?
Mais il y a plus. Référence est faite ici à la nature et à la portée des programmes des partis. Une campagne électorale est en effet un moment fort dans la polarisation, la sensibilisation et la promotion de ce que proposent les formations politiques. Or, aujourd'hui, une double difficulté se présente. Les électeurs ont de la mémoire; ils se souviennent pour la majorité d'entre eux en tout cas des promesses électorales des uns et des autres en 2015-2016. Plus de cinq ans après, quel est leur état d'esprit? Positif pour certaines, modeste pour d'autres et bien décevant pour les derniers. S'y ajoute le fait que les grandes réformes ont été décidées par le Souverain –tel est le cas notamment de la régionalisation, du système éducatif et professionnel ou encore de la protection sociale. Si bien que le gouvernement sortant et ses composantes ne peuvent revendiquer en propre tel ou tel bilan et le mettre en exergue devant les électeurs de 2021.
Tout paraît s'être passé comme si un phénomène d'écrasement et de minoration avait embrassé le champ partisan. D'autant plus que les deux législatures (2011-2016 et 2016-2021) ont été marquées par des majorités qui ont cohabité, suivant des configurations variables, autour du PJD et des alliés comme le RNI, le MP, le PI (jusqu'en juillet 2013), l'UC et l'USFP depuis avril 2017 et le PPS qui a rejoint l'opposition en octobre 2018. La majorité sortante n'assume pas la plénitude de son bilan. Mais le chef PJD de l'exécutif, lui, l'assume globalement; ses alliés sont plus en retrait, s'attachant à surligner les secteurs particuliers qu'ils ont dirigés –c'est surtout vrai d'ailleurs pour le RNI avec Aziz Akhannouch (agriculture), Moulay Hafid Elalamy (industrie et commerce ) et Mohamed Benchaâboun (économie et finances). Le cas du département de l'éducation nationale est intéressant à relever, le MP ne se risquant pas prudemment sans doute à revendiquer un grand chantier royal confié à Saaid Amzazi...
Dans cette même ligne, comment ne pas évoquer l'impact du Nouveau Modèle de Développement (NMD) dont la commission a été nommée par le Souverain en décembre 2019? Par suite de la pandémie Covid-19, elle a dû elle-même repousser la remise de son rapport au début de janvier 2021. Mais ce NMD a contribué à placer en «mode veille» l'élaboration des programmes des partis politiques. Était alors à l'ordre du jour une vision et des axes stratégiques devant fonder les politiques publiques durant les trois législatures allant jusqu’à 2035.
Depuis la publication du rapport du NMD jusqu’à fin juin dernier, la difficulté qui s'est présentée pour eux est de s'inscrire, en termes programmatiques dans le cadre de son référentiel. Difficile dans ces conditions de décliner en quelques semaines seulement, tel ou tel programme spécifique pouvant permettre à des partis de faire la différence aux yeux des électeurs.
Le chef du gouvernement, Saâd-Eddine El Othmani, n'a pas pu échapper lui non plus à cette contrainte objective. Il y a un monde entre le programme de son parti– tant en 2011 qu'en 2016 d'ailleurs– lors des campagnes électorales de ces années-là et ce qu'il propose aujourd'hui. Il s'arc-boute désormais à quatre axes: une politique sociale, une priorité à l'investissement et à l’emploi, la mise en œuvre des grandes réformes en instance ou à l'ordre du jour, enfin ce qu'il considère comme la capacité de son gouvernement en termes de responsabilité et de résilience. Des principes et des politiques par trop «généralistes», passablement «fourre-tout», voulant ratisser large. Mais où l'on ne retrouve pas le référentiel de sa formation islamiste. Un écart qui n'échappe à personne.
Les alliés du PJD sont moins écartelés; ils peuvent reprendre à leur compte bien des recommandations du NMD. Le RNI est sans doute le plus en phase à cet égard. Il proclame son attachement à la social-démocratie, un périmètre où il pourra cohabiter avec l'USFP qui a tourné le dos depuis une bonne vingtaine d'années au socialisme, sauf à l'évoquer dans une rhétorique convenue. Le MP et l’UC ne se distinguent pas vraiment par une forte visibilité identitaire et politique. Le PI de Nizar Baraka s'emploie à mixer son référentiel historique et culturel avec les exigences d'un libéralisme social. Une approche de même facture est celle du PPS de Mohamed Nabil Benabdallah, sauf à préciser qu'elle est plus réformiste avec une teneur encore idéologique ou à tout le moins progressiste.
«Hadj Moussa, Moussa Hadj», selon le dicton populaire...? Il y a de cela à la veille de la campagne électorale. Ce qui fera peut-être la différence entre les uns et les autres, n'est-ce pas le leadership des dirigeants? Il ne faut pas en effet méconnaître l’intelligence des citoyens et plus précisément des électeurs. Ils sont attentifs au déroulement de la vie sociale; ils n'ignorent pas quels partis et quels responsables sont en capacité de porter les réformes attendues. Ils sont en bute au brouillard ces temps-ci et à la confusion des clivages. Mais ils attendent et espèrent que les prochaines élections aideront à la poursuite de l'édification d'un Maroc d'avenir. Un espoir, donc. Une exigence.