Une réplique de résultats électoraux désastreux du PJD, le 8 septembre dernier. Une réplique qui cette fois frappe de nouveau, de plein fouet, cette formation islamiste. A la suite du congrès extraordinaire tenu le samedi 30 octobre, Abdelilah Benkirane succède donc à Saâd-Eddine El Othmani, démissionnaire au lendemain des scrutins du mois dernier. Cela veut dire quoi? Que le séisme électoral a sans doute marqué durablement ce parti et plus globalement le système partisan ainsi que le déroulé de la vie politique nationale.
Comment le PJD en est-il arrivé à une telle situation? Une séquence particulière est celle des conditions qui ont prévalu lors de la nomination du précédent cabinet, le 5 avril 2017, dirigé alors par Saâd-Eddine El Othmani. Ce dernier avait accepté une formule majoritaire associant l’USFP alors que Abdelilah Benkirane, lui, chef de gouvernement désigné le 10 octobre, avait échoué à former une majorité sans cette formation socialiste et qu’il avait dû rendre son tablier six mois plus tard, le 15 mars 2017.
L’opposition entre ces deux dirigeants du PJD n’a pu alors que se polariser sur le procès de «compromission» fait à El Othmani. Durant sa mandature, El Othmani a dû, autant que faire se peut, gérer la majorité fragilisée par les positions du RNI de Aziz Akhannouch, également ministre. Mais en même temps, il s’est trouvé confronté à des luttes intestines au sein de sa propre formation. L’un des épisodes les plus significatifs de ce parcours tumultueux a été sans aucun doute la démission du président du conseil national de ce parti, Driss Azami el Idrissi, laborieusement entérinée un mois plus tard, en mars 2021 par cette même instance.
Avec la défaite cuisante du 8 septembre –13 parlementaires alors qu’il en comptait 125 dans la Chambre des représentants sortante– il était prévisible qu’une sorte de reddition des comptes était inévitable. Toujours en veille, Abdelilah Benkirane, dès le lendemain, a ainsi demandé la démission d’El Othmani, responsable du parti. Celle-ci sera actée avec l’annonce d’un congrès extraordinaire pour la fin de ce mois d’octobre. A l’ordre du jour, l’élection d’un secrétaire général. Six candidats étaient en lice. Trois d’entre eux se sont retirés –Jamaâ El Mouatassim, Idriss Azami el Idrissi et Mohamed el Hamdaoui. Les trois autres se sont maintenus. Et c’est finalement Abdelilah Benkirane qui a été élu avec 81% des voix des membres du congrès, soit 1112 voix, largement devant Adelaziz El Omari (ex-maire de Casablanca) qui a recueilli 231 voix et Abdallah Bouanou, ex-maire de Meknès, avec 15 bulletins.
Au lendemain des scrutins du mois dernier, Benkirane s’est mis en orbite de candidature, sans le dire publiquement, mais en veillant à ce que le processus devant conduire au congrès extraordinaire soit balisé. Il a fait savoir qu’il s’opposait au projet de la direction démissionnaire de reporter d’un an le 9e congrès prévu en décembre 2021. Il a eu gain de cause lors de ce congrès extraordinaire qui vient de se tenir. Il s’agissait pour lui de contrer une ultime manœuvre dilatoire d’El Othmani qui espérait ainsi rester aux commandes du PJD jusqu’à la fin décembre 2022 pour s’employer à contrecarrer son concurrent politique en reprenant la main durant quatorze mois.
Désormais investi, de manière plébiscitaire, Abdelilah Benkirane prend les rênes. Comment va-t-il se positionner dans différents domaines? En direction de sa formation, il a déclaré qu’il allait travailler avec «tous les frères». Pouvait-il dire autre chose? De fait, l’on aura une première indication significative de cette profession de foi avec l’élection de la trentaine de membres du nouveau secrétariat général issu de ce congrès extraordinaire: les repêchés sortants, les membres écartés, les nouveaux venus. Sans grand risque, l’hypothèse d’une forme de «purge» n’est pas à écarter, surtout celle visant des membres, anciens ministres, dont le zèle en faveur d’El Othmani couplé à une forte défiance à l’endroit de Benkirane ne sera pas minoré ni évacué par ce dernier.
Au sein du cadre parlementaire, qu’en sera-t-il? L’idée d’un abaissement du seuil nécessaire pour former un groupe parlementaire au sein de la Chambre des représentants avance: il serait réduit à douze au lieu de vingt, pour permettre au PJD d’avoir ce statut. Une manière pour la nouvelle majorité d’octroyer à la formation islamiste une fonction et un rôle dans la vie parlementaire et de ne pas encourir l’accusation d’hégémonique.
Pour ce qui est, par ailleurs, du registre du positionnement spécifique en direction de l’institution monarchique, Benkirane vient de s’en expliquer en précisant qu’il ne s’agit pas de dire oui à «tout»; qu’il faut de la «sincérité dans ce rapport; et qu’il ne faut pas oublier que le PJD a une politique inscrite dans le référentiel islamique».
Voilà qui lui laisse une certaine marge, à géométrie variable. Dans l’opposition, le PJD ne va-t-il pas se sentir libéré des contraintes et des intérêts supérieurs de l’Etat et s’installer alors dans une interpellation «activiste» tant de certains choix de politique intérieure que de ceux relevant de la politique étrangère? En particulier, quelle lecture fera Benkirane de mesures prises et des réformes en cours comme le statut des langues étrangères dans le système éducatif, la légalisation du cannabis à des fins thérapeutique et industrielles, la refonte du code pénal gelée depuis 2016 ou encore d’autres? Qu’en sera-t-il aussi, au dehors, de la normalisation avec l’Etat d’Israël, appelée à se renforcer et à se développer dans les mois et les années à venir?
Au final, le Benkirane de 2021, nouveau secrétaire général du PJD, n’est pas celui des campagnes électorales de 2011 ni de 2016. Il a eu une expérience gouvernementale de premier plan lors de sa mandature de Chef de gouvernement (2011-2016). Il a pu, au plus près, mieux appréhender les procédures et surtout les codes –écrits ou non– d’une bonne gouvernance. Va-t-il les solliciter et les respecter comme il se doit?
En tout état de cause, il lui faudra faire montre, de manière conséquente, et avec beaucoup d’amertume, de réalisme; le PJD d’hier n’est plus celui d’aujourd’hui. Cette formation a un passé, un bilan de dix ans sévèrement sanctionné par les urnes le 8 septembre dernier. C’est une sensibilité qui va rester dans le champ partisan et politique national mais qui n’a et n’aura plus le même capital d’attraction, d’adhésion et de mobilisation. Elle n’a pas réussi à porter et à incarner encore moins le changement attendu et espéré. Et elle ne peut escompter à terme –et même durablement– être un vecteur de profonde réforme, de transformation structurelle, de démocratie et de modernité.
L’intelligence collective des Marocains est majoritairement axée sur un nouveau modèle de développement où les valeurs identitaires sont toujours préservées mais sans que le référentiel religieux ne soit instrumentalisé. S’ouvre aujourd’hui une normalisation politique, culturelle et sociétale. Elle met fin démocratiquement et par les urnes à une parenthèse PJD. Une décennie contrariée, soldée par un coût élevé.