Après le bras de fer avec les avocats suite à l’imposition du «pass vaccinal» pour accéder aux tribunaux et par conséquent à la justice, autrement dit à nos droits, puis ses envolées lyriques concernant la nécessité de réformer le Code pénal et réguler la liberté d’expression sur internet, ou encore, plus récemment, la polémique concernant le concours d’accès à la profession d’avocat, place désormais à ce qui pourrait bientôt devenir le sujet du moment: l’avant-projet de loi sur les peines alternatives.
En effet, lundi dernier, Abdellatif Ouahbi a dévoilé devant la Chambre des représentants certaines dispositions de cet avant-projet de loi, qui sera indépendant du Code pénal. Parmi les différents aspects évoqués, dont certains sont intéressants, un en particulier a attiré mon attention.
Il s’agit d’une proposition concernant un mécanisme permettant aux personnes condamnées pour des peines inférieures à 2 années de prison de pouvoir racheter leurs jours de prison. Le tarif? Entre 100 et 2.000 dirhams la nuitée. Pardon, je m’égare, je voulais dire par jour. Car c’est à s’y méprendre fort semblable à des tarifs d’hôtel.
Si l’idée est de permettre de désengorger les prisons en se délestant des prisonniers, jugés à priori comme non dangereux pour la collectivité, tout en se faisant un petit billet pour le Trésor au passage, alors la proposition est fort intéressante. Mais si le but est de faire triompher la justice et l’égalité pour tous les citoyens, dans ce cas, c’est raté.
Car premièrement, ce mécanisme risque d’instaurer une hiérarchisation socio-économique face à la loi. Puisque si vous êtes suffisamment riche, certaines lois du Code pénal ne vous concernent désormais plus. Vous êtes condamnés à un 1 an ou 2 ans de prison? Rien de dramatique, il suffit de sortir le chéquier. Vous êtes pauvres? Et bien, tant pis pour vous. Comme disait le personnage de Don Salluste interprété par Louis de Funès dans la Folie des grandeurs: «Les riches c’est fait pour être très riches, et les pauvres très pauvres».
Le fait est qu’il en va de la crédibilité de la loi, du système judiciaire marocain et de l’égalité des citoyens face à l’Etat de droit.
Imaginez un instant que vous soyez victime d’un délit à caractère financier ou commercial. En plus d’être lésé économiquement, vous êtes amené à prendre en charge les frais d’un avocat pour défendre votre cause, faire des allers-retours au tribunal pendant des semaines, voire des mois, pour espérer obtenir une condamnation de l’escroc qui vous a nui injustement. Vous finissez contre vents et marées par obtenir une condamnation, mais le lendemain, vous le revoyez siroter tranquillement son thé à la menthe dans le café du coin. C’est là toute la magie et la puissance que cet avant-projet de loi propose d’octroyer au chéquier.
Une sorte de chèque en blanc, pardonnez-moi le jeu de mots, accordé au plus nanti, face à un pan entier de la loi marocaine.
Il est de ce point de vue utile de rappeler que notre ministère est celui de la justice, non des «indulgences». Par «indulgences», je fais référence à ce mécanisme apostolique, qui permettait de racheter les péchés d’une personne vivante ou morte, avec des pièces sonnantes et trébuchantes. Un procédé qui fut pratiqué au XVIème siècle à une échelle quasi industrielle par l'Eglise catholique en Europe, et qui fut l’un des ferments de la réforme protestante.
De ce point de vue, cet avant-projet de loi entend d’une certaine manière rétablir le commerce des indulgences, du moins pour les peines inférieures à 2 ans de prison. Ce qui fera certainement beaucoup de bien aux caisses du Trésor, mais causera un tort peut-être irréparable à notre vrai trésor, la «justice» et l’égalité des citoyens devant la loi.
N’oublions jamais que la justice est sacrée, parce qu’elle n’est pas à vendre.