La fronde de trop?

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ChroniqueAprès la fronde contre la vaccination provoquée par la brutalité et l’amateurisme communicationnel du gouvernement dans l’application du «pass vaccinal» en octobre dernier, la fronde des avocats risque très fortement d’être la fronde de trop.

Le 23/12/2021 à 11h00

Après des mois de contestations de l’application du «pass vaccinal», autant sur les réseaux que dans les rues du Royaume, le ministère de la justice avec à sa tête Abdellatif Ouahbi a décidé avec une guerre de retard, et sans préavis aucun, d’appliquer ledit «pass» aux tribunaux.

Cependant, les choses ne se sont pas passées comme prévu. Les avocats ont décidé à la quasi-unanimité de faire front contre ce qu’ils qualifient de décision anticonstitutionnelle. En effet, comme rappelé par ces derniers, l’article 120 de la constitution stipule de manière claire que «toute personne a droit à un procès équitable», autrement dit, toute personne jugée a le droit d’avoir son avocat pour prendre sa défense, au risque de se retrouver confronté à des procès iniques et expéditifs.

Ainsi, loin des débats scientifiques quant à l’efficacité des vaccins ou encore la pertinence du «pass», les avocats mettent en avant le fait qu’aucun décret au monde ne saurait abroger un article de la constitution. Et qui mieux que les avocats pour défendre le principe de cohérence juridique et la hiérarchie des normes. Car la décision d’appliquer le «pass», qu’il s’agisse des tribunaux ou des administrations publiques, est avant tout une décision politique, quand bien même elle se fonderait sur un argumentaire scientifique. Or, en l’occurrence, le politique vient de s’aventurer sur un terrain glissant, celui du juridique, qui contrairement à la science, laisse très peu de marge à l’interprétation et aux hypothèses.

La question qui se pose et s’impose est de savoir dans un premier temps si à l’instar des hôpitaux et des établissements de santé, la justice représente un service vital. Si les services de santé qui portent bien leur nom s’occupent de notre santé, la justice s’occupe de ce qui du point de vue démocratique vaut infiniment plus que tous les autres aspects de notre existence, à savoir notre liberté, notre dignité de citoyen et de nos droits dans leur totalité, dont notons-le le droit à la santé.

Sans un fonctionnement transparent et équitable de la justice, tous nos droits peuvent s’évaporer du jour au lendemain. Benjamin Franklin avait mille fois raison en disant qu’«un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l'une ni l'autre, et finit par perdre les deux».

Pas étonnant que depuis le début de la pandémie, beaucoup de par le monde se mettent à parler de «dictature sanitaire». Car en s’accrochant à la lettre de la loi au nom de la lutte contre le Covid-19, beaucoup de gouvernements ont fini par en trahir l’esprit. 

L’indignation des avocats fut qualifiée fallacieusement de boycott, là où ils sont en réalité tout simplement interdits d’entrer aux tribunaux, au détriment de leurs clients qui risquent de se retrouver confrontés soit à un report de leur procès dans le meilleur des cas, soit à un jugement de facto inique, étant privé de leur défense, qui rappelons-le est un droit constitutionnel. C’est à se poser la question de savoir si la constitution a encore une quelconque valeur aux yeux du politique, qui semble depuis à peu près deux ans avoir pris goût à la gestion par décret et par communiqué.

Qu’ils soient vaccinés ou non, les avocats s’interdisent à juste titre de s’aventurer sur un terrain qui n’est pas le leur, celui de la médecine. Ce qu’ils pointent du doigt, c’est que l’un des derniers sanctuaires de nos droits, le tribunal, ne peut ni ne doit être sacrifié sur l’autel d’une décision politique, qui dans un état de droit est soumise à la loi et à la hiérarchie des normes.

Après la fronde contre la vaccination provoquée par la brutalité et l’amateurisme communicationnel du gouvernement dans l’application du «pass vaccinal» en octobre dernier, la fronde des avocats risque très fortement d’être la fronde de trop. Si le «pass vaccinal» échoue cette fois à percer la muraille du droit et de son incarnation matérielle, le tribunal, c’est tout l’édifice mis en place depuis octobre dernier qui risque de s’effondrer comme un château de cartes.

Ne vaut-il pas mieux pour le gouvernement de battre en retraite sur cette question le temps de méditer le fait que la lutte contre la pandémie peut très bien se conjuguer avec le respect de la dignité et des droits des citoyens? Car le «quoi qu’il en coûte» de notre gouvernement pour reprendre l’expression rendue célèbre par Mario Draghi, risque de coûter politiquement infiniment plus que tous les pronostics de l’actuelle équipe gouvernementale.

L’actuel gouvernement veut-il regagner la confiance des citoyens et renforcer l’Etat de droit, ou veut-il se contenter d’une victoire à la Pyrrhus? La question mérite d’être posée.

Par Rachid Achachi
Le 23/12/2021 à 11h00