Le Maroc doit-il s’inquiéter de Zemmour?

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ChroniquePeut-il gagner? Probablement. Car en politique, a fortiori dans un contexte de crises plurielles, tout est possible ou presque. Souvenons-nous de Trump qui, quelque mois avant sa fulgurante victoire en 2016, était moqué et tourné en dérision par l’Establishment de l’époque.

Le 02/12/2021 à 11h12

Après un suspense ayant duré plusieurs mois, Eric Zemmour, le chroniqueur, journaliste et essayiste sulfureux, a finalement annoncé officiellement sa candidature aux présidentielles françaises de 2022. A travers une vidéo au ton tragique, à la musique épique et au contenu anxiogène, Zemmour annonce ne point vouloir réformer la France mais la sauver. Les thématiques mises en avant sont toujours les mêmes: Islam, immigration, grand remplacement… Bien que le volet économique ait été également effleuré vers la fin, il ne sera aucunement question ici de porter un quelconque jugement sur la pertinence de ces dernières. C’est une affaire française, laissons-la donc aux Français.

Cependant, de notre point de vue marocain, il me semble tout à fait légitime de nous poser un certain nombre de questions. Une éventuelle victoire de cet «amoureux de la France» comme il aime se présenter est-elle possible? Et dans quelle mesure pourrait-elle impacter nos relations avec la France?

Peut-il gagner? Probablement. Car en politique, a fortiori dans un contexte de crises plurielles, tout est possible ou presque. Souvenons-nous de Trump qui, quelque mois avant sa fulgurante victoire en 2016, était moqué et tourné en dérision par l’Establishment de l’époque. La victoire d’Hillary Clinton semblait acquise, avant que le réel ne vienne frapper à la porte.

Mais j’ai envie de dire que Zemmour a déjà gagné, et ce, depuis plusieurs mois, en imposant graduellement et de plus en plus efficacement ses thématiques identitaires sur le terrain du débat. Une dynamique qui, par un effet d’inertie, a amené Emmanuel Macron à se droitiser, du moins dans son discours, mais aussi dans certaines de ces mesures relatives à l’immigration et à la politique des visas.

Un glissement à droite de l’ensemble de l’échiquier politique français qui, sur le terrain des relations internationales et de la géopolitique, pourrait nous être favorable. Car le Maroc s’accommode bien de la droite française, contrairement à une certaine gauche qui ne rate pas une occasion pour porter atteinte au Maroc, autant sur le terrain diplomatique quand elle est au pouvoir que médiatique quand elle en est dépourvue. Pragmatique et réaliste, la droite française ou du moins ce qu’il en reste, incarne si l’on s’autorise à faire une histoire de l’imaginaire politique français, une forme de «royalisme refoulé». Car la France est orpheline de son Roi.

Cependant, sur le terrain de la politique intérieure, il nous est impossible d’occulter une problématique majeure, celle des MRE résidants en France. Car oui, ils font partie de la catégorie ciblée par le discours de Zemmour. Et le Maroc se devra de peser de tout son poids pour protéger les droits autant que la dignité de nos concitoyens, tout en respectant la souveraineté de l’Etat français. Car comme le dit l’adage «charbonnier est maître chez soi».

Une équation complexe qui pourrait trouver son dénouement dans les impératifs de la réalité du pouvoir. Puisqu’un écart majeur sépare la rhétorique politique pré-électorale qui peut être décomplexée voire irresponsable, de celle que l’on peut se permettre quand on est aux commandes, celle des contraintes, des compromis, des arbitrages et rapports de force.

Dans le cas d’une victoire peu probable, mais probable tout de même de Zemmour, le mieux que l’on puisse donc espérer serait donc que les ardeurs du polémiste soient tempérées par la pesanteur du réel et du pouvoir.

Par Rachid Achachi
Le 02/12/2021 à 11h12