Le trio RNI-PAM-Istiqlal semble dominer un peu partout, et le spectre d’une débâcle électorale sans précédent commence à planer avec de plus en plus de pesanteur sur le PJD. Ville après ville, fief après fief, les forteresses jadis imprenables du parti de la lampe semblent tomber aux mains du trio cité précédemment. Tanger, Casablanca, Oujda, Rabat, Agadir, … Partout, c’est la Bérézina. L’époque de la rhétorique creuse sous couvert religieux et des discours mielleux et victimaires semble désormais révolue. Il ne s’agit pas en l’occurrence d’un simple vote sanction, mais d’une mise à mort politique décrétée par le peuple, dont le parti de la lampe risque de ne plus pouvoir se relever pour un long moment.
Avec 12 sièges provisoirement obtenus, le PJD ne disposera même pas de quoi constituer un groupe parlementaire. Pour couronner le tout, même le secrétaire général du Parti, Saâd-Eddine El Othmani a lamentablement échoué à être réélu dans la circonscription de Rabat-Océan.
Quant au trio RNI-PAM-Istiqlal, il possède d’ores et déjà, en rassemblant provisoirement 257 sièges, de quoi constituer une majorité gouvernementale ô combien confortable au parlement. Rappelons à ce propos que la majorité simple à la Chambre des représentants nécessite 198 députés sur un total de 395.
Cependant, la messe n’est pas encore dite quant à cet aspect. Le PAM pourrait très bien basculer ou plutôt être poussé dans l’opposition à en juger en partie par le refus formulé il y a quelques semaines par Nizar Baraka, secrétaire général de l’Istiqlal, de parler d’alliance purement électorale avec ce dernier, lui privilégiant la perspective d’une alliance fondée sur un programme politique avec un large dénominateur commun. Il reviendra donc au RNI, dont la première place semble de plus en plus assurée, de trancher et d’arbitrer entre les deux. Dans ce cas de figure, l’USFP (35 sièges), autre grande surprise de ces élections, le PPS (20 sièges), qui se maintient bon an mal an, et les traditionnels MP (26) et UC (18) viendraient aisément compléter le tableau pour constituer une très large majorité à 274 sièges.
Le RNI aura donc l’embarras du choix, mais les tractations s’annoncent dès à présent extrêmement compliquées pour des raisons principalement qualitatives. L’hétérogénéité des programmes électoraux en est une, comme évoqué précédemment. Mais il est évident depuis quelques jours qu’étant incapable de la moindre autocritique, le cheval de bataille du PJD durant les prochaines semaines, voire durant les prochaines années, sera de surfer sur une rhétorique anti-RNI, en accusant le parti de la colombe d’avoir tout bonnement acheté les élections. Des accusations qui, en plus d’être profondément méprisantes et insultantes pour les millions de Marocains qui se sont déplacés aux urnes, ne sont pour l’instant fondées sur aucune preuve tangible sur le terrain du droit. Mais dans le monde magique des réseaux, la preuve est tout simplement optionnelle. Cette rhétorique, en s’inscrivant dans le prolongement de celle du boycott de 2018, risque toutefois d’entacher durablement l’exercice du futur gouvernement qui sera, selon la constitution, dirigé par le RNI.
Rappelons que les tribunaux populaires du net et les armées électroniques des uns et des autres, ne manqueront pas à la moindre occasion de remettre en cause la légitimité de cette victoire. Dans cette perspective, le PAM, autre partie accusée dès sa création, par beaucoup, de connivence et de proximité incestueuse avec le pouvoir, risque d’être d’avantage perçu par le RNI comme un boulet, qu’il se devra de traîner, plutôt que comme un allié fiable et jouissant d’une réputation irréprochable. Certes la vérité est importante, mais l’opinion publique compte aussi pour le meilleur comme pour le pire.
Par contre, une majorité certes un peu plus éclatée (RNI + Istiqlal + USFP + PPS + MP + UC) mais avec un noyau dur (RNI-Istiqlal), procurera une assise et une légitimité plus solide aux yeux des citoyens, contrairement à une majorité à 3 qui ressemblerait d’avantage à une loge VIP qu’à un gouvernement inclusif et représentatif de la volonté populaire. Il en résulte qu’on pourrait avoir dans ce schéma un centre d’inertie de droite libérale avec une double ouverture à gauche et au centre.
Autre aspect relevant du qualitatif, le poids de l’ «opposition». En effet, sans le PAM, cette dernière se réduira comme une peau de chagrin, ce qui n’est ni dans l’intérêt de la majorité qui a structurellement besoin de garde-fous et d’un regard critique sur les grandes décisions qu’elle sera amenée à prendre, ni dans celui du bon fonctionnement démocratique du pays.
Mais dans tous les cas de figure, nous aurons enfin, après 10 années de prise en otage des chantiers majeurs de notre pays, un gouvernement capable, s’il s’en donne les moyens, de matérialiser efficacement et sans calculs partisans les grandes orientations royales, à condition de rendre possible une dialectique politique au sein de l’hémicycle parlementaire. Et ce, à travers un juste équilibre qui reste à définir entre majorité et opposition, et un peuple qui se devra de rester alerte et profondément critique, dans une perspective constructive.