Comment parler de son pays?

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ChroniquePour intéresser l'étranger, faut-il forcer le trait, démolir, diffamer son propre pays?

Le 25/10/2017 à 11h46

Il y a quelques années, je fus invité par la fondation Friedrich-Ebert-Stiftung à donner une conférence à Bonn, en Allemagne. L’accueil fut parfait et l’organisation impeccable, comme c’est souvent le cas chez nos ancêtres Teutons.

(Je dis bien “ancêtres”, cela doit en étonner certains, mais les Vandales, tribu germanique, ont dominé le nord du Maroc pendant plus d’un siècle. Nous avons donc des gènes germaniques dans notre ADN, nous pourrions en exciper pour réclamer la nationalité allemande, comme ces fameux Allemands de la Volga qui deviennent automatiquement concitoyens de la mère Merkel dès qu’ils reviennent de Russie, même si cela fait des siècles que leurs ancêtres ont quitté la Prusse ou la Bavière, même s’ils ne parlent pas un traître mot de la langue de Goethe… Mais je m’égare, revenons à nos moutons.)

Donc Bonn, l’accueil cordial et ponctuel, la salle, le public attentif (des étudiants, des diplomates à la retraite, des enseignants, etc.)… Tout se passa très bien, on m’écouta avec attention, on posa quelques questions auxquelles je répondis du mieux que je le pouvais, puis la séance fut levée et nous allâmes dîner, les organisateurs et moi.

Au cours du dîner (à l’allemande, c’est-à-dire copieux, bon et sans chichis), je sentis tout de même une certaine gêne parmi les organisateurs. Sur mon insistance, ils finirent par me confier ce qui les avait gênés dans ma conférence. Elle avait été trop modérée. Tel que. Vers la fin du diner, éméchée par le Riesling qu’elle avait absorbé en quantité immodérée, une blonde Walkyrie m’assena le coup de grâce:-Nous croyions avoir invité un lion, c’est un gentil matou qui est venu!

J’adore les chats. Être traité de matou me fait d’ordinaire l’effet d’un compliment. Mais telle n'était pas l’intention de la Walkyrie et je pris donc ombrage de sa pique désobligeante. Expliquez-vous, Waltraud! Elle me révéla qu’ils avaient invité, l’année précédente, un jeune écrivain marocain (il restera anonyme dans ce billet, ou plutôt nommons-le Abdelmoula, c’est bien évidemment un pseudonyme) qui avait peint une image apocalyptique de son pays. C’était un cloaque plus misérable que le Bangla-Desh, une dictature pire que celle des Kim de Corée du Nord, on y torturait à la chaîne, on y enlevait les gens en plein jour, les libertés publiques n’existaient pas, les femmes étaient cloîtrées, etc.

Estomaqué, je ne pus qu'apprendre à mes interlocuteurs cette sage parole qui faisait proverbe autrefois: “J’aime Platon mais j’aime la vérité plus que Platon”.

Le dessert fut l’occasion pour moi de rétablir une vérité, justement: rien n’est jamais noir ou blanc. C’est dans la nuance que se trouve le vrai. Pour ce qui est du Maroc, la meilleure chose à faire quand on en parle à l’étranger, c’est de chercher la nuance, les chiffres exacts publiés par des instances reconnues (encore faut-il comprendre quelque chose à l’économie, à la sociologie, etc., ce qui ne me semble pas être le cas de Abdelmoula), le contexte, les comparaisons pertinentes (à vouloir tout comparer à la Suisse, on ne dit rien, en fait), voir les choses de façon évolutive: d'où venons-nous, quelles sont les perspectives d’avenir (encore faut-il connaître quelque chose à l’Histoire…)

 Comme c’est ennuyeux, soupira la Walkyrie.

On en est là. Pour intéresser l'étranger, faut-il forcer le trait, démolir, diffamer son propre pays? En prenant fort courtoisement congé de mes hôtes, je compris que j’étais rayé de leurs tablettes. Abdelmoula, lui, pouvait revenir quand il voulait. Un boulevard s’était ouvert devant lui.

En rentrant à pied à mon hôtel, j'étais plutôt désemparé. Certes, on n’est pas obligé de se faire l’agent touristique de son pays, ni son zélé propagandiste. Mais peut-on au moins s’efforcer à l’objectivité? Ou bien ne peut-on faire carrière à l’étranger qu’en salissant, en insultant, en diffamant la terre qui nous a vus naître?

Par Fouad Laroui
Le 25/10/2017 à 11h46