Lundi dernier, le vol 850 de la RAM à destination d'Amsterdam. Départ à 12.30.
Dans la queue qui mène aux différents contrôles de police et de douane, une ribambelle d’enfants joyeux, tout excités d’aller passer quelques jours à l’étranger. (Je ne les retrouverai pas dans l’avion, c’est donc vers un autre pays qu’ils s’envoleront.) Comme je me tiens juste derrière eux, je fais pour ainsi dire partie de leur conversation.
– Nous allons manger beaucoup de pâtes et de pizzas! s'enthousiasme une petite Asmae (c’est moi qui les baptise, vieille habitude de voyageur).
– Mais comment saura-t-on qu’elles sont halal? s’inquiète illico un mouflet (Adil, dites-vous? Va pour Adil).
– Allons, ne t’en fais pas, intervient l’accompagnatrice, un peu ennuyée par le tour que prend la conversation (qui est menée dans un excellent français; ce ne sont pas des enfants de Taliouine qu’on envoie visiter l’Europe).
Mais Adil insiste:
– Les pizzas seront-elles halal?
L’accompagnatrice élude:
– On verra sur place.
Plus tard, confortablement installé dans mon siège, rangée 22, j’entends un tout autre type de conversation derrière moi. Un couple discute, dans un sabir marocco-hollandais agrémenté d’injures diverses. Ils disent pis que pendre de diverses personnes de leur connaissance. Une certaine Daouia n’est qu’une sournoise à qui le couple souhaite quelques affections cutanées, en particulier cette décoloration de la peau dite el-bars (un abonnement d’un an à qui me dira ce que c’est en français); un dénommé Lhouari n’est qu’un gros prétentieux dont on souhaite la ruine prochaine; et sa sœur Lhachmia, tu as vu sa sœur Lhachmia? toujours fourrée avec les militaires; etc.
Entretemps, l’avion survole l’Andalousie. Dinnnng! Le voyant “Serrez vos ceintures“ s’allume: quelques turbulences, sans gravité d’ailleurs, secouent l’appareil. Les imprécations du couple, derrière moi, changent radicalement d’objet. L’homme se tait; la femme se met à réciter à mi-voix la sourate 114, facile à reconnaître à cause de la rime finale de ses versets qui se terminent tous en -ass. Tiens! On se souvient de Dieu.
Quelques minutes plus tard, les perturbations cessent, le voyant s’éteint. Et mon couple de reprendre ses cancans. Il appert que Daouia la sournoise est également laide comme un pou et on lui veut encore plus de verrues sur le bout du nez. J’essaie de lire un document du HCP (on ne se moque pas de bibi qui fait son travail) pour ne plus entendre ce grand débarras de méchancetés.
Dinnnng! Au-dessus de La Rochelle, le voyant s’allume de nouveau. L’avion est derechef secoué par quelques turbulences. Rien de grave mais derrière moi, c’est maintenant le couple qui entonne à l’unisson la sourate An-nass, celle qui tranquillise et éloigne les djinns. Tout cela ne dure que quelques minutes et bientôt le voyant s'éteint. Daouia et Lhouari reviennent sur le tapis. Cette fois, on les déchiquette menu. Leurs enfants sont hideux et mal élevés.
Arrivé à Schiphol et en attendant mes bagages, je repense au mouflet dont la seule préoccupation, au moment d’entreprendre son premier voyage à l’étranger, était de savoir si les pizzas étaient halal, ainsi qu’au couple expert de la médisance et qui ne se souvenait de Dieu (dinnnng!) que lorsqu’il y avait des turbulences.
L'éducation religieuse laisse à désirer, ce me semble, dans notre beau pays.
Apprend-on aux gens que la foi, c’est de l’ordre de la mystique et non de la mastication? Qu’appeler Dieu à l’aide en cas de danger et l’oublier aussitôt quand tout va bien, c’est de la superstition, pas de la foi? Que mêler le profane (ce crêpage de chignon à distance avec la dénommée Daouia…) avec le sacré (la prière, l’invocation), c’est bien plus grave que ce qu’on ingère par inadvertance?
Heureusement, il est encore temps d’apprendre au petit Adil les mystères et les beautés de la transcendance. Pour le couple infernal qui a presque gâché mon voyage en me mêlant à Daouia, Lhouari et Lhachmia, je crains qu’il ne soit trop tard…