Un Francais, un Canadien et un Hollandais sont en train de discuter… Non, ce n’est pas le début d’une blague, c’est très sérieux.
Donc: mardi dernier, au siège de l’Unesco à Paris, un Francais, un Canadien et un Hollandais sont en train de discuter avec d’autres experts (Chinois, Brésiliens, Russes…) de questions qui intéressent cette auguste institution. Le débat est de haute volée, l'éthique de la discussion est respectée, les idées fusent.
Puis la pause arrive. Une tasse de café à la main, nos trois héros s’autorisent un peu de small talk, quelques plaisanteries, des réminiscences. Mais de quelle langue usent-ils? demandes-tu, ami lecteur. Du français? De l’anglais?
Pas du tout: ils parlent darija.
Un passant distrait, captant quelques noms, croirait qu’ils parlent philosophie, poésie ou affaires militaires; mais non, ils évoquent simplement leurs lycées d’antan –dans l’ordre: Descartes, Victor Hugo, Lyautey. Il y avait une rivalité terrible entre ces trois-là, sur les terrains de sport. Descartes, plus méthodique, l’emportait au hand-ball; Lyautey (c’était nous) était imbattable dans tout ce qui demandait de la force brute; Victor Hugo, trop éthéré, limite évanescent, se faisait piétiner par les deux autres. L’as du sonnet se faisait sonner les cloches (de Notre-Dame).
Eh oui, ils parlaient notre bonne vieille darija marocaine, savoureuse et imagée, entremêlée de français et d’expressions english à la mode– mindset, trendy, bottomline…
Les trois bonhommes, le Francais, le Canadien et le Hollandais (votre serviteur), étaient donc d’origine marocaine, comme on dit.
Coïncidence, je lisais cette même semaine dans d’excellents media, dont le 360.ma, des articles déplorant du Maroc/ la fuite des cerveaux (tiens, Hugo est passé par là). On s’habituait à peine à ce que la France nous piquât nos informaticiens, voilà que le Québec lorgne sur nos soudeurs! Il ne manquerait plus que la Russie nous enlève nos voyantes pour remplacer ses chamans, qui sont en voie de disparition.
A vrai dire, je ne sais pas trop que penser de cette affaire.
L’Italie a exporté pendant des siècles des Italiens. Ça a donné Robert de Niro, Al Pacino, Martin Scorsese, la liste est interminable –même l'ébouriffante Lady Gaga s’appelle en fait Stefani Germanotta. La Hongrie a exporté des Hongrois: ce sont eux (Leo Szilard, John Von Neumann…) qui ont mis au point la bombe atomique. La Grèce a exporté des Grecs– ils sont devenu Telly Savalas (vous vous souvenez de Kojak?), Dukakis, qui a failli devenir président des Etats-Unis, l’excellent écrivain David Sedaris, etc.
Eh bien, il faut peut-être laisser le Maroc exporter des Marocains; peut-être même s’en réjouir. Si dans quelques décennies nous pouvions allonger une liste aussi prestigieuse que celles citées plus haut, ça en vaudra peut-être le coup.
Mais n’inventons pas la bombe atomique, c’est déjà fait. Et il n’y a pas de quoi se vanter, messieurs les Hongrois.
Nous, nous inventerons des choses plus utiles: la tente caïdale/ hôpital de campagne; la pastilla lyophilisée pour astronautes gourmands; la centrale solaire au smen fondu. Rendez-vous dans vingt ans.