Vivre entre deux pays (le Maroc et les Pays-Bas en ce qui me concerne), c’est parfois instructif. Il arrive qu’on observe des coïncidences qui doivent tout au hasard, des coïncidences significatives mais que personne ne peut relever sinon celui dont la vie oscille entre les deux pays en question. En voici un exemple, tout récent.
Au Maroc, l’inventif ministre de l’Education nationale, Mohamed Hassad, a récemment proposé qu’on réintroduise la récitation à pleins poumons, dans les cours d’école, de l’hymne national en début de semaine. Mon collègue et ami Karim Boukhari a eu l’occasion d’évoquer, dans ces colonnes-mêmes, la nostalgie attendrie que l’idée de Hassad avait suscitée en lui.
L’autre jour, j’entendis à Amsterdam un tout autre discours. C’était un activiste hollandais d’origine marocaine, le genre râleur sans raison, qui protestait contre cette mesure prônée par Hassad. «Nationalisme mal placé, lavage de cerveau dès l’enfance, jacobinisme, bla-bla-bla…»
Or –et voilà où je voulais en venir– en ce moment même, une des mesures adoptées par les partis politiques néerlandais qui sont en train de former une coalition pour diriger les Pays-Bas consiste justement à faire apprendre et chanter l’hymne national par les écoliers. Jolie coïncidence, non?
Je demandai poliment à l’activiste si cela constituait aussi un cas de «nationalisme mal placé, lavage de cerveau, jacobinisme, etc.» Après un moment d’hésitation (duquel je déduisis qu’il n’était pas au courant…), il me fit la réponse que font toujours ceux qu’on met devant leurs contradictions:
– Ce n’est pas la même chose!
Ah bon… Il me semblait justement que c’était la même chose. Le parti chrétien-démocrate CDA avait explicitement inclus dans son programme, avant les élections législatives, l’obligation de faire apprendre par cœur et de faire chanter le «Wilhelmus», l’hymne national des Pays-Bas, par les écoliers. Et les autres partis sont maintenant disposés à inclure la proposition du CDA dans le programme de gouvernement. Il y a une discussion à ce sujet mais personne ne semble s’en scandaliser. Mais quand c’est un ministre marocain qui fait exactement la même suggestion, les commentaires –quand on la commente– sont négatifs… J’ai fait remarquer à l’activiste cette injustice, il a haussé les épaules et changé de sujet.
En réalité, dans un monde de plus en plus ouvert, où les frontières s’estompent, où on ne communie plus en famille devant les infos de vingt heures sur la chaîne nationale (on regarde à toute heure du jour Al Jazeera, TV5 voir CNN ou la télé russe en anglais…), il est de plus en plus important de savoir qui nous sommes, d'où nous venons et ce qui nous lie. Réciter une fois par semaine l’hymne national y contribuerait. Sinon nos enfants ne connaitront plus que les «jingles» ou les logos de Google, de YouTube ou de Facebook. Ils sauront tout de la famille Kardashian et rien de leur propre grand-mère. Tous liens avec nos ancêtres seront rompus. Est-ce cela que nous voulons?
