«Il avait une tête d’Arabe…»

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ChroniqueNe nous reste plus qu'à changer collectivement de tête pour ne plus être accusés de quoi que ce soit.

Le 14/11/2018 à 10h59

Dès l’annonce de la fusillade de Thousand Oaks, mercredi dernier, je me suis calé sur CNN et sur Fox News, passant de l’une à l’autre de ces chaînes. (Je ne les mets pas sur le même plan, bien sûr: CNN s’efforce à une certaine objectivité et fait preuve d’un professionnalisme indéniable alors que Fox News est la chaîne de Trump: niaiserie, inculture et mensonges garantis.)

Si j’ai immédiatement regardé les chaînes américaines au lieu de rester sur la vénérable BBC, c’est parce qu’ayant des reporters sur place, elles allaient nécessairement interroger des témoins du drame. Et je savais déjà ce qu’ils allaient dire. Hélas.

«Il avait une tête d’Arabe…»

Eh oui, ça n’a pas manqué. «He looked Middle-Eastern» dans le meilleur des cas, «an Arab» dans le pire. Comme si on pouvait lire sur son visage l’origine ethnique d’une silhouette furtive, vêtue de noir, qui fait irruption dans un bar bondé et se met à tirer dans le tas. Un ectoplasme qu’on n’a aperçu que pendant quelques secondes. Un Arabe! Quelle perspicacité, quelle acuité visuelle…

Cela m’a rappelé des souvenirs. Le pire attentat de l’histoire des États-Unis (avant le 11 Septembre 2001) avait été perpétré par Timothy McVeigh, un Américain pur sang, le 19 Avril 1995. Il avait fait 168 victimes et plus de 680 blessés. Je me souviens que dans ce cas aussi, des témoins avaient parlé de «trois hommes de type moyen-oriental». La police locale et le FBI cherchait fiévreusement «des Arabes». Ce fut par hasard qu’elle mit la main sur Timothy McVeigh: l’idiot roulait sans plaque d’immatriculation– pour ne rien payer à l’État, qu’il abhorrait. On trouva dans sa voiture un bon d’achat de bâtons de dynamite. Sans ce coup de chance, la police chercherait encore des Arabes…

Dans ses Essais, Montaigne consacre un long chapitre (Livre I, chapitre 21) aux pouvoirs de l’imagination. Il met en exergue un diction philosophique moyenâgeux: une imagination forte crée la chose. Si on veut voir une chèvre s’envoler, on finira par voir une chèvre s’envoler.

En fin de compte, le tireur de Thousand Oaks fut identifié comme un certain Ian David Long, qui vivait dans le quartier voisin de Newbury Park. Encore un Américain pur sang. Comme Stephen Paddock qui massacra soixante de ses compatriotes à Las Vegas le 1e Octobre 2017 pendant un festival de musique country en plein-air.

Timothy McVeigh, Stephen Paddock, Ian David Long… Peu importe. Le prochain meurtrier de masse aura «une tête d’Arabe».

Ne nous reste plus qu'à changer collectivement de tête pour ne plus être accusés de quoi que ce soit. Avec une petite barbiche et quelques retouches ici et là, je finirai bien par ressembler à Stephen Paddock.

Par Fouad Laroui
Le 14/11/2018 à 10h59