La FIFA fait un travail remarquable dans la lutte contre le racisme. Le mot “respect“ figure sur les maillots et dans les stades, le slogan “non au racisme“ est déployé partout, les arbitres ont la consigne de signaler toute injure raciale entendue sur le terrain, etc. Bravo.
Mais il y a malheureusement tout un pan de l’industrie du football qui échappe à la FIFA: les commentateurs.
Quelle plaie…
Sauf exception– il y en a quelques-unes– ces artistes du bla-bla, dont le métier est de nous décrire ce que nous voyons (“Machin passe la balle à Truc”, “l’arbitre siffle la mi-temps”), ne sont pas très futés. Mais comme ils sont (trop) bien payés, ils croient pouvoir pontifier sur tout et n’importe quoi. Ils nous infligent très naturellement leur vision du monde qui est souvent celle d’un petit-bourgeois poujadiste, inculte et content de lui.
Et c’est ainsi qu’un racisme tranquille infuse leurs propos. Le gugusse qui commente le foot aux Pays-Bas –appelons le Hans– a une vision très claire des fautes commises pendant le match. Si c’est un joueur “de couleur“ –Brésilien, Marocain, Togolais…– qui en est victime, alors il simule, forcément. On fauche Marquinos ou Harit? «Relève-toi, comédien, on t’a à peine touché!»
Si un jour un fou entrait sur le terrain et abattait Neymar d’une rafale de mitraillette, je suis sûr que Hans hurlerait: «Chiqué! Relève-toi, Neymar, le carnaval, c’est à Rio, pas ici!»
Et ça ne se limite pas aux joueurs. Tous les aficionados se souviennent de la gaffe commise par Thierry Roland, paix à ses cendres, à l’occasion du but légendaire marqué par Maradona contre l’Angleterre le 22 juin 1986 pendant la Coupe du monde. L’arbitre Ali Bennaceur valida ce but marqué avec la main – “la mano de Dios“, affirma le génial Argentin après la rencontre. Le commentateur, lui, dérapa complètement:
– Franchement, on n’aurait pas pu trouver mieux qu’un Tunisien pour arbitrer ce match?
Succès assuré quand on sait que le match était suivi sur cette chaîne en… Tunisie. Je ne sais pas si Thierry Roland s’est excusé après la rencontre. Un lecteur pourrait peut-être éclairer notre lanterne.
Une forme de racisme plus insidieuse, parce que bon enfant a priori, est celle qui consiste à user et abuser de clichés et de stéréotypes. Ainsi, Hans ne peut pas parler d’un Italien en méforme sans ajouter: «il a mangé trop de pizza.» Quand c’est un Espagnol, on a droit à la paella –chacun sait que les Ibères ne mangent que ça, matin, midi et soir. Un Français? Il a forcé sur le chablis. Un Marocain? «L’a bouffé trop d’couscous hier.» Horripilant.
Excédé, j’ai fini par éteindre systématiquement le son quand je regarde un match. A la place, et parce que le silence absolu n’est pas agréable non plus, je mets de la musique classique en sourdine. Essayez: on dirait un ballet. Neymar, c’est un danseur étoile, Ronaldo la réincarnation de Noureev.
Avantage annexe: non seulement on est débarrassé du racisme ordinaire des commentateurs mais le football devient une activité “de haute culture“, comme dirait Matthew Arnold. Depuis que La Bayadère ou Le lac des cygnes accompagnent mes matches, je n’ai plus honte d’avouer que j’aime le foot…