(C’est ma sœur qui me raconte au téléphone ses tribulations.)
Je devais refaire ma carte d’identité pour mettre dessus l’adresse de D. [une cité-dortoir de Casa], puisque j’y ai déménagé en provenance du Maârif. Effectuer cette petite modification, en Estonie ou en Angleterre, peut-être même au Rwanda, c’est l’affaire de quelques clics sur ton ordinateur, bien au chaud chez toi, une tasse de café à portée de main; mais pas à D. Oh que non!
Quand je suis allée voir le cheikh de D. pour avoir un certificat de résidence, j’ai tout de suite compris que j’entamais un parcours du combattant à côté duquel l’entraînement des marines US, c’est du pipi de chat.
Parce que le cheikh, c’est quand même lui qui m’a apporté il y a quelques mois à la maison l’autorisation de circuler pendant le confinement –il s’est fait aboyer dessus par mes chiens, je lui ai offert du thé, il a inspecté du regard mon petit jardin, il m’a bel et bien vue, il sait donc très bien que j’habite là.
Dans un univers normal, il devrait donc me délivrer mon certificat de résidence en deux minutes, les doigts dans le nez, sans coup férir.
Rêve toujours.
Il me dit, le bon apôtre, que je dois lui amener un papier du m'qaddem de la commune du Maârif certifiant que je ne dépends plus de cette commune.
Je montre au cheikh l’acte de vente de mon appartement du Maârif, ce qui prouve que je n’ai plus rien à voir avec cette commune. Il secoue la tête, l’air attristé par ma naïveté. (Elle se croit en Suisse?) Pour me donner un certificat de résidence à D. –où il sait parfaitement que j’habite, il connaît ma maison mieux que moi– il a quand même besoin du feu vert du m'qaddem du Maârif. Why, oh why?
J’ai oublié de préciser que ce marathon avait commencé une semaine avant quand j’étais allée à l’ONE pour mettre le compteur d’électricité à mon nom. A l’ONE, on m’avait dit que pour ce faire, je devais apporter un certificat de résidence. D’où l’intrusion soudaine du cheikh dans cette histoire.
J’avais fait remarquer à l’employé électrique –par ailleurs très poli– que j’avais sur moi le contrat d’achat de la maison de D. Je le lui avais montré. Y’avait mon nom dessus. Pas une lettre ne manquait, il y avait tous les points sur les i… Ouaaaaaalou.
– C’est le caïd qui a demandé à l'ONE d'exiger le certificat de résidence, c'est comme ça.
Ayant réussi à coincer le cheikh après plusieurs expéditions dignes d’un chasseur d’ours blanc, le bonhomme me dit d’abord que je dois lui présenter une quittance d’électricité à mon nom pour avoir un certificat de résidence! En somme, l’ONE et le cheikh ont réussi à inventer le mouvement perpétuel que les savants du Moyen Âge avaient cherché en vain pendant des siècles sous le beau nom latin de perpetuum mobile. Je lui dis:
– La quittance pour avoir le certificat, je ne peux l’avoir qu’après avoir obtenu le certificat. Vous allez me faire aller et venir entre vous jusqu’à la consommation des siècles, c’est ça?
(Pour les curieux, “jusqu’à la consommation des siècles“ se dit “ila aakhir az-zamaan“ en arabe.)
Et c’est là qu’il m’a dit :
– Bon, je vais te faire une faveur, parce que c’est toi. Apporte-moi l’attestation du m'qaddem du Maârif et je te donnerai le certificat de résidence.
Du coup, j’ai décidé d’attendre l’approche des élections pour aller voir le m’qaddem: il a tendance à être plus coulant en période électorale, je ne sais pas pourquoi. Ainsi elles serviront à quelque chose, ces élections.
Enfin, j'espère que l’idée de la CSMD de numériser toute l’administration en quelques années sera effectivement mise en œuvre. Quand le cheikh et le m’qaddem seront devenus des émoticônes sur mon écran, je pourrai utiliser mon temps à des choses plus utiles que courir par monts et par vaux à la recherche de ces bonhommes évanescents.