Suis-je le seul à m’en étonner? Suis-je le seul à m’en indigner? Il y a, dans le sud du Maroc, des gens qui disposent d’un passeport marocain –bien pratique pour voyager et pour bénéficier d’avantages sociaux– mais qui, sans honte ni vergogne, brandissent à la moindre occasion un autre étendard, celui d’une entité évanescente hébergée sur un autre serveur, si l’on ose dire. Pire: ils s’attaquent à la moindre occasion à leur pays, par tous les moyens, y compris la violence.
Encore s’il ne s’agissait que de réclamer pacifiquement l’autonomie, comme un Breton placide (sur un air de biniou) ou une paisible Wallonne grignotant sa gaufre sur la pas de sa porte. On pourrait s’en accommoder. Personnellement, je signerais des quatre mains (comme les bonobos). Je crois qu’une large autonomie des provinces serait une bonne chose. Le citoyen serait mieux écouté parce que l'administration serait plus proche de lui, l’enseignement serait mieux adapté aux conditions concrètes de chaque région, la démocratie locale en serait renforcée, etc.
Mais non, il ne s’agit pas d’une revendication tranquille: il s’agit de têtes brûlées qui créent des troubles, qui rameutent des journalistes étrangers trop crédules et même –horresco referens– vont s’entraîner au maniement d’armes chez les voisins! On croit rêver– ou plutôt cauchemarder. La dernière fois que j’ai rencontré Jean Racine, il n’en revenait pas non plus. “Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes?”, me demanda-t-il, en caressant nerveusement sa petite Andromaque.
Dans la Constitution américaine (Article III, Section 3), la haute trahison est définie comme l’acte de faire la guerre à son pays. La punition en est donnée par le U.S. Code, titre 18: la peine capitale. En France, un décret-loi du 29 juillet 1939, signé par le Président du Conseil Edouard Daladier, assimile la propagande autonomiste à l'espionnage et à la haute trahison. La punition? Au minimum, une très lourde peine de prison. En Angleterre, “la mère des Parlements”, ce n’est que depuis 1998, hier donc, que la haute trahison n’est plus punie de la peine de mort; mais elle entraîne la détention perpétuelle. Il s’agit là de trois pays démocratiques! Et nous? Rien. On regarde. Pourquoi ne pas leur offrir des caramels, tant qu’on y est?
J’en discutais l’autre jour avec un ancien condisciple qui exerça naguère de hautes fonctions dans l’appareil d’Etat marocain. L’homme a maintenant des loisirs. Je lui exprimai mon incompréhension à propos de ces traîtres de l'intérieur. Il me répondit, avec un sourire énigmatique:
– Hé, hé…
– Mais, Abdelmoula, “hé, hé…”, ce n’est pas une réponse! Pourquoi ne fait-on rien?
– Hé, hé…
– Tu es à la retraite maintenant, tu n’es plus soumis au devoir de réserve. Pourquoi ne fait-on rien?
– Hé, hé…
Bon, le disque était rayé, il n’y avait rien à en tirer.
La nuit tombée, et alors que je sirotais un raïbi Jamila sur ma terrasse au bord de l’Amstel, tout s’éclaira dans ma caboche. Je me souvins d’un passage particulièrement intéressant de Ma vie, l’autobiographie de Trotsky. Lorsque les bolcheviks prirent le pouvoir à Saint-Pétersbourg, le rusé Trotsky se précipita au siège des services secrets du Tsar et s'empara des archives. En les dépouillant, il s'aperçut que le tiers –exactement le tiers– des révolutionnaires d'extrême-gauche étaient en fait des agents des services secrets impériaux.
– Hé, hé…