La semaine dernière, le Premier ministre britannique Boris Johnson a annoncé, comme chaque année, la publication de la nouvelle “honors list“. Il s’agit des hommes et des femmes anoblis par la Reine sur proposition du gouvernement.
Cette annonce a été faite un vendredi soir, au moment où les gens partent en week-end, comme s’il ne fallait pas qu’elle attire trop l’attention. De toute façon, en ce moment, on ne parle que du virus et personne n’a l’air de s'inquiéter de la surpopulation de la Chambre des Lords, qui en compte 830 avec les 36 qui viennent d'être nommés.
Ça m’a rappelé un souvenir lointain. Un jour que je rentrais chez moi après une journée de travail à l’université de York, un vieux bonhomme élégamment vêtu m’aborda de façon fort civile et me proposa d’acheter un dessin (je crois qu’il s’agissait d’un bouquet de fleurs) pour la modique somme de deux livres sterling. Interloqué, je fis l'acquisition du gribouillage, qui était signé “Lord quelque-chose“. Le lendemain, mes collègues professeurs me confirmèrent qu’il s’agissait bien d’un Lord authentique mais désargenté, et qu’il se faisait un peu d’argent de poche en frétillant du crayon. L'excentricité est une qualité anglaise.
Si vous vous demandez comment on devient Lord ou Lady (je vous sens intéressé(e)), sachez qu’il faut avoir accompli quelque exploit, ou bien avoir fait beaucoup de bénévolat ou bien… donner de l’argent aux partis politiques.
Vous sursautez. “Mais c’est de la corruption!”
Absolument.
Dans les années qui suivirent la Première Guerre mondiale, un certain Maundy Gregory se fit une spécialité de vendre des titres de “lord“ et de “baron“ au profit du Parti Libéral. Il fut en fin de compte condamné par la justice et obligé de s’exiler en France.
Pour autant, ce scandale ne mit pas fin à la corruption. Elle devint plus subtile. Aujourd’hui, on n'achète plus directement son titre; on verse d’abord, très légalement, des “contributions“ au parti de son choix. Quelques années plus tard, et par pure coïncidence, ledit parti découvre que vous avez des qualités éminentes qui exigent que vous soyez d’urgence anobli. Et voilà!
C’est étrange, on n’entend jamais parler de ça quand on consulte les rapports des ONG qui dénoncent la corruption dans le monde.
Entendons-nous bien: ces ONG font un travail utile, salvateur, nécessaire. Il faut les applaudir, les soutenir, leur faciliter le travail. Mais pourquoi ne voient-elles que la paille qui est dans l’œil du métèque, jamais la poutre qui est dans l’œil de l’aristocrate distingué? C’est d’autant plus bizarre que la plupart de ces ONG sont établies… à Londres!
Dans la liste des nouveaux Lords créés par Boris Johnson, j’ai lu avec stupéfaction le nom du milliardaire anglais d’origine russe Evgeny Lebedev, propriétaire du journal Evening Standard. Voilà qui ferait presque oublier que le père dudit Lebedev était un agent du KGB (sic!). Le rouble n’a pas d’odeur.
D’autre part, Boris a anobli son propre frère, Jo Johnson. Pardon? Quand un président africain, ou le roi du Siam ou du Népal, accorde des avantages à son frère, toute l’Europe ricane – ah! ces barbares… Mais avez-vous lu dans Le Monde, dans El Pais, dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung la moindre dénonciation du népotisme du Premier ministre anglais? Rien, pas un mot! Il faut que ce soit le360.ma qui fasse ce travail de salubrité publique.
Oui, il faut combattre sans pitié la corruption. Mais soyons clair: dans ce domaine, il n’y a pas de différence entre un m’qaddem de quartier et Lord Tartempion, ce dernier s’exprimât-il avec élégance dans la langue de Shakespeare.