Il y a quelques jours, et à la suite d'une fausse manœuvre, je suis tombé sur la chaîne En-Nahar, canal 555. Je m'apprêtais à zapper -je ne connais pas ces gens-là— quand mon attention fut attirée par le sujet qu'on y traitait. Il y avait de quoi s'ébahir. Jugez plutôt.
Un imam, vêtu de l'accoutrement idoine, pileux à souhait, écoutait l'appel d'un téléspectateur de la ville de Béchar -l'ancienne Colomb-Béchar - qui lui soumettait un problème d'une importance planétaire -que dis-je? galaxique. Au moins.
- Je suis allé au marché hier, racontait l'homme, et j'y ai acheté une poule. Le marchand la pesa devant moi: elle pesait 6 kilogrammes. Il me demanda alors de payer 6 fois 24.000 dinars, le prix du kilo de poulet dans nos contrées.
L'imam passa sa main dans sa barbe, le sourcil froncé, tout ouïe, attendant sans doute l'apparition du Diable dans l'histoire. Il murmura:
- Hmmm... Et alors?
La voix du citoyen de Béchar retentit dans l'appareil, vibrante d'indignation.
- Mais... il avait pesé la poule avec ses plumes! Or 24.000 dinars, c'est le prix de la viande de poulet! N'y a-t-il pas là tromperie? Que dit notre religion (dinouna) là-dessus?
Je m'attendais à ce que l'imam éclatât de rire, ou bien qu'il fût pris d'une juste colère et se répandît en imprécations contre le benêt béchari: qu'avait-il à lui faire perdre son temps pour une poule? Ne savait-il pas qu'un imam doit s'occuper de Dieu, de la foi, de la spiritualité? Une poule, nom de D...! Ibn Arabi disposait-il d'un poulailler? Le grand Rumi avait-il un coq romi à Konya? Y a-t-il un oeuf à la coque façon Hallâj? Comment peut-on être aussi stupide pour tout mélanger dans une omelette surréaliste où foi, oeuf, prière, poule au pot, Dieu, souk, balance Roberval, cocorico!, méditation, escroquerie et extase mystique se mélangent?
Je m'attendais donc à ce que l'homme de Dieu rabrouât l'autre niais, qu'il lui expliquât la différence entre din et dounya, qu'il l'envoyât paître. Eh bien, pas du tout. Il hocha la tête, l'imam, se fit répéter toute l'affaire puis demanda:
- Il t'avait bien dit que c'était 24.000 dinars le kilo de viande?
- Oui, m'sieur imam.
- Et il a pesé toute la poule? Avec ses plumes? Sans soustraire le poids des plumes dans le chiffre final, total et définitif?
- Si fait, mon bon seigneur, si fait.
L'autre se mit alors à tonner, convoqua Ibn Taymiyya et Ghazali, récita quelque verset puis décréta qu'au regard de la loi religieuse, le maquignon avait mal agi. Haram! Au suivant!
J'en suis resté baba. Tant de bêtise... Qui nomme ces imams télévisuels? D'où sortent-ils? Est-ce qu'on les soumet à un test d'intelligence avant de leur donner leur ijaza? Comment ce ballot ne peut-il pas voir qu'il rabaisse Dieu en le mêlant à une histoire de poule? Comment ne voit-il pas que c'est ce genre de niaiseries qui ridiculisent sa religion (telle qu'il la conçoit) aux yeux des gens intelligents -et du monde entier en fait?
Plus profondément: pourquoi ces gens n'arrivent-ils pas à comprendre que ce qui est banal et trivial n'a rien à voir avec Dieu, la transcendance, la foi?
Un imam intelligent et vraiment pétri de spiritualité aurait dit au pékin de Béchar: "la prochaine fois que tu iras au marché acheter une poule, laisse Dieu hors de l'affaire. Même chose pour le hammam, la plage, le cinéma, le stade de foot, l'école, la gestion de l'eau, la vaccination des bébés, la chasse au buffle, le raisin fermenté, le rock 'n roll et l'huile de palme. Et si quelqu'un te demande: il est où, alors, Dieu? Tu répondras:
- Ailleurs. Au-delà du monde, le plus souvent. Dans ton cœur, parfois.