Rien de mieux que des loisirs forcés pour se plonger enfin dans tous ces livres qu’on s’était promis de lire un jour, quand on en aurait le temps! Ce temps qui nous fait si cruellement défaut quand on est pris dans le tourbillon du travail et de la vie en société. Une hospitalisation qui s’éternise peut compter comme des loisirs forcés, même si, vulgairement parlant, ce n’est pas la joie. Me voici donc à m’user les yeux au rythme d’un volume par jour dans ma petite chambre d’hôpital avec vue sur la Garonne. Quand la nuit tombe, je ne sais plus où je suis ni comment je m’appelle (Rachid?)
Parmi les ouvrages qui composent la fameuse liste, il y a le poignant “Journal” d'Etty Hillesum publié en français sous le titre Une vie bouleversée dans la collection Points. Tout le monde connaît Anne Frank, son “Journal” et la cachette, à Amsterdam, où elle passa des mois pour échapper aux nazis pendant l’Occupation. Il me semble qu'Etty Hillesum est beaucoup plus intéressante qu'Anne. Une question d’âge, sans doute, mais aussi de disposition d’esprit. Etty était une sorte de mystique qui ne chercha pas à échapper à la déportation, même quand elle en eut la possibilité e,t d’autre part, dans les pires moments d'horreur, elle ne cessait de répéter: “La vie est belle et pleine de sens”. Vertigineux...
Mais bref, si je vous parle de cet extraordinaire Journal d'Etty Hillesum, c’est qu’au détour d’une page (la page 272, pour être précis) j'ai eu la stupéfaction de lire cette phrase: «Les gendarmes ont fouillé nos sacs à dos et nos valises. J'ai très obligeamment ouvert la petite mallette en rotin recelant le Coran et le Talmud.»
Partagez-vous mon étonnement, amies lectrices, amis lecteurs? En route vers Auschwitz pour un aller sans retour, Etty avait emporté deux livres: le Talmud (ce qui se comprend puisqu’elle était juive) et... le Coran! Elle le cite d'ailleurs en premier.
C’est après avoir achevé ma lecture que j’ai compris. Pour Etty Hillesum, Dieu est cette part en elle qui entre en résonance avec un beau paysage, une pensée élevée, avec l’acceptation de la vie telle qu’elle est, etc. Dieu ne se laisse donc pas saisir en une liste d’interdits et de commandements et, d’autre part, il n’est pas au-dehors mais à l’intérieur de chacun. Une phrase du Coran peut donc aussi bien “révéler“ ce Dieu intérieur qu’une cantate de Bach ou un paragraphe du Talmud.
Je me demande ce que les SS ont fait du Coran de la juive Etty lorsqu’elle est arrivée au camp de concentration. L’ont-ils brûlé? Peu importe! Ce qui me frappe dans cette anecdote, c’est l'élévation de pensée de cette femme admirable qui ne fêta jamais ses trente ans.
Sommes-nous à la hauteur? A lire les pseudo-imams du Net, les rabbins racistes genre Ovadia Joseph, les cathos traditionalistes qui parlent de "la vraie religion" pour exclure les autres, on a envie de les mettre au pain sec et à l’eau et à les obliger à lire la "vie bouleversée" d'Etty Hillesum. Elle est très, très au-dessus de ces soi-disant spécialistes de Dieu...