La scène se passe dans un joli village de vacances, près de Tétouan. Chaque matin, je me lève tôt pour aller faire quelques longueurs dans la piscine, au moment où il n’y a personne dans l’eau, avant de revenir dans ma chambre lire ou écrire, au frais. La vie de cocagne, quoi.
Ce matin-là -c’était avant-hier- il y avait, par exception, un monsieur d’un certain âge dans le bassin, fiché là comme un épieu, qui ne nageait ni ne bougeait. Par distraction, j’oubliai de passer par la douche avant de tremper mes pieds dans l’onde. Il ne m’en laissa même pas le temps. Pointant un doigt furieux sur moi, il hurla d’une voix de stentor:
- La douche!
Des chats s’enfuirent, effrayés, et des mouettes s’envolèrent en glapissant. Le maître-nageur, réveillé, tomba de sa chaise. L’homme avait aboyé comme le kapo d’un camp de concentration dirigeant les malheureux prisonniers vers un destin funeste:
- La douche!
Sur le principe, il avait raison. J’hésitai donc à lui faire remarquer qu’il aurait pu user d’un ton plus urbain. Ce n’était qu’oubli de ma part et je n’ai pas précisément l’air d’un ruffian ou d’un houligan. Un rappel souriant aurait suffi. Mais bon: il avait raison. Je me tus donc et allai prendre la douche réglementaire.
C’était le premier épisode de mon anecdote.
Deuxième épisode: un quart d’heure plus tard, arrive une rombière vêtue comme pour aller au marché en automne: tehtia, fouqia, djellaba, foulard, etc. C’est tout juste si elle ne portait pas des gants. Elle bavarde avec l’irascible kapo et le ton de la conversation, ainsi que son sujet, m’informent qu’il s’agit de sa légitime épouse.
Et puis il y a cette scène proprement ahurissante qui est encore gravée dans mes prunelles. Mme kapo descend tranquillement les marches qui servent aux enfants à entrer dans l’eau et rejoint, toute habillée, son conjoint. Et les voilà tous deux à barboter dans la piscine, lui vêtu de son seul short kaki, elle habillée de pied en cap.
Qu’eussiez-vous fait, chers lecteurs?
Mon premier mouvement fut de me diriger vers eux pour protester vigoureusement contre cette atteinte flagrante à l’hygiène. Comment osait-il, ce pignouf, m’intimer l’ordre d’aller prendre une douche, et sur quel ton!, alors que sa femme pataugeait dans l’eau avec des vêtements qu’elle n’avait peut-être pas changés depuis l’Aïd?
Et puis je me souvins qu’une scène analogue avait eu lieu dans un hôtel 5 étoiles de Marrakech il y a quelques semaines. Un malotru avait fait tout un scandale parce qu’on avait demandé à sa femme de mettre un costume de bain ou de sortir de la piscine:
- Vous n'êtes pas des Musulmans! avait-il hurlé en direction du personnel, qui ne faisait pourtant que son travail.
Il faut noter qu’il ne s’agit pas ici de l'éternelle discussion autour du burkini (débat pour une autre fois) mais de gens qui se baignent tout habillés, avec leurs vêtements de tous les jours, dans une piscine, sous prétexte que Dieu le veut ainsi.
Dès qu’on introduit Dieu dans une discussion, elle s'arrête automatiquement. Rien ne compte face à l’absolu. Imaginez le nombre le plus grand qui soit, comparé à l’infini, il disparaît. Il aurait donc suffi au kapo malappris de me beugler dessus:
- Ma femme se baigne toute habillée parce qu’elle est musulmane. Vous n’allez quand même pas contredire Dieu?
Discussion impossible. Je suis sorti de la piscine et je suis allé me baigner dans la mer, pas loin de là.