Les championnats d’athlétisme qui viennent de se terminer au Qatar ont suscité une avalanche de commentaires plus désobligeants les uns que les autres. Qué calor ! couinait Speedy Gonzales, le sprinter mexicain. “Dis donc, i tape, le Mohamed“, râlait un marteau marseillais. “I am all hot and bothered“, soupirait une sauterelle suisse dans un anglais de contrebande. L’affaire fut résumée ainsi dans les colonnes illustres du 360.ma: “Les pires jeux de l’Histoire de l’athlétisme.“
Holà, on se calme! (Il fait assez chaud comme ça.)
Réexaminons posément la question. Comme disait le maréchal Joffre: “De quoi s’agit-il?“
Ne s’agissait-il pas des championnats mondiaux d’athlétisme?
Le monde se réduit-il à un pré frais où broutent des biches et coule un ru? Est-il tout entier représenté par une promenade à la fraîche sur les rives de la Loire? Une brise légère sur le lac de Constance, est-ce là notre sort commun?
Allons donc! J’ai travaillé dans la mine de phosphate de Sidi Daoui, du côté de Khouribga, par des températures atteignant certains jours les 48 degrés. Ni les ouvriers, ni les conducteurs de bulldozers, ni les graisseurs enfermés dans la Marion –une des plus grandes draglines du monde– ne se plaignaient.
(En avril dernier, quelqu’un m’a raconté l’anecdote suivante à Marrakech: une touriste passant à côté de l’atelier d’un ferronnier qui soudait quelque chose, ruisselant de sueur par une température abominable, s’exclama:
– Mais c’est l’Enfer!
Et l’autre, qui comprenait le français, lui rétorqua:
– Non madame, l’Enfer, c’est crever de faim.)
Et, pour passer d’un extrême à l’autre, les Inuits ne sont-ils pas des êtres humains, eux qui vivent dans un monde de glace? Et à Iakoutsk, où le mercure descendit un jour jusqu’à -64, ce ne sont pas des hommes, ceux qui y ont construit un théâtre et une université? Et dans les quarantièmes rugissants, ce sont des bonobos qui pilotent les navires?
Bref, si on veut des jeux vraiment mondiaux, il faut les organiser partout dans le monde.
Ce n’est pas oiseux, ce que je dis ici. D’Aristote à maâme Michu la concierge, en passant par Montesquieu et Hegel, on a toujours prétendu que l’esprit ne soufflait que sous les températures tempérées. Autrement dit, seuls les Européens représentent l'espèce humaine dans sa perfection. Le reste, ce sont des barbares, bons à réduire en esclavage ou à coloniser.
Vous aimez vous faire traiter de barbare?
Moi non plus.
Alors en souvenir de mes valeureux camarades ouvriers de Khouribga, en hommage aux pionniers de Iakoutsk, en coup de lèche aux esquimaux, je propose de tenir désormais les mondiaux d'athlétisme aux quatre coins du monde: en Sibérie en plein hiver, à Fqih Ben Salah au mois d’août, en Patagonie où la “Terre de Feu’“ présente un “climat subpolaire“– admirable formulation de la diversité du monde.
La Sibérie, Fqih Ben Salah, la Patagonie… De toute façon, on ne risque pas d’avoir moins de médailles qu’à Doha.