Au cours des dernières semaines, on a beaucoup parlé climat et intempéries dans les trois pays chers à mon cœur et entre lesquels je partage mon temps. Mon frère m’a envoyé des photos de la plage d’El Jadida sous la pluie, ce qui lui donne un tout autre aspect que celui qu’elle a d’habitude en été, quand nous y jouons au football. Et à propos de football, l’idée même qu’on puisse reporter un match de mon club “natal’’, le Difaa Hassani Jadidi, pour cause de pelouse détrempée, m’a plongé dans la stupéfaction. Vraiment, la météo se détraque. A Amsterdam, les canaux ont gelé ce qui a permis à quelques intrépides de se prendre pour Jésus en marchant sur l’eau. A Paris, le froid a également sévi ce qui m’a obligé à m’habiller comme un explorateur polaire pour sortir dans la rue (voir photo).
Bref, il est temps de parler sérieusement du climat. Non pas sous l’angle des phéno-mènes physiques, du changement climatique ou de l’effet papillon de Lorenz, mais sous l’angle de l’étymologie. Eh oui. On ne se refait pas.
Dans son livre À mots découverts, Alain Rey écrit, page 131: “On dit encore, de manière un peu affectée, climat pour région ou pays.” Vous saviez cela, vous? Moi non plus. Peut-être le distingué linguiste veut-il simplement dire que “changer de climat” est une métaphore pour “aller vivre ailleurs”?
Dommage que Rey, ce fin connaisseur du français, ne pratique pas les langues sémi-tiques. En arabe, iqlim, qui signifie “région’’, provient du grec klima, dérivé de klinein, qui a donné “climat’’ en français. Il n’y a là aucune affectation : n’importe quel Arabe vous confirmera que le premier sens de iqlim est région. Le deuxième sens de iqlim, beaucoup plus rare, est… climat. Peu d’Arabes ou d’arabisants le savent. Pour dire “climat’’, ils utilisent plutôt le mot taqs qui vient du grec taxis qui signifie “arrangement, ordre’’. Quant à ta’aqlum, dérivée de iqlim, il signifie aussi bien “acclimatation’’ que le fait de s’installer dans une région donnée (“changer de climat…’’).
Conclusion: pour dire “climat’’ dans le sens de “région’’ ou de “pays’’, comme le fait Rey, il faut être ou très snob… ou un peu Arabe. Autrement dit: si vous êtes un virtuose de la langue française, vous n’êtes pas loin de l’être aussi en arabe.
Vous vous demandez peut-être quel est le rapport entre ce feu d’artifice de cuistrerie et le fait qu’il a fait froid en même temps à El Jadida, Amsterdam et Paris la semaine dernière. Vous pensez peut-être que j’abuse du lait fermenté ou que je perds la boule. Pas du tout. Le rapport, le voici: que l’on prenne la nature (le climat) ou la culture (les langues), il y a bien plus de choses qui nous rapprochent, nous autres humains, qu’il n’y en a qui nous séparent…