L'autre jour, à Pézenas dans l'Hérault, par temps de canicule, je tombe sur un restaurant (ou plutôt un boui-boui) qui prétend vaguement être marocain. Je m'approche, alléché, mais déchante bien vite quand je découvre sur la carte un “kebab au gratin“ qui me semble être une double escroquerie. Ces deux substantifs ont-ils le moindre rapport avec notre beau pays? Fuyons!
A New York, l'an dernier, je découvre toute une chaîne de restaurants dont le plat emblématique est un "Moroccan tajine" à déguster dans un ramequin de carton. Oui, de carton! Fuyons!
À Amsterdam, sur le chemin de l'université, je change parfois de trottoir pour éviter l'insolente et menteuse vitrine d'une pseudo-cantine marocaine qui propose en entrée... des mezzés! Avec tout le respect que nous devons à nos frères libanais, peuple entreprenant et sympathique, pourquoi baptiser "mezzés" nos chhiwates? Autant rebaptiser Rabat "Beyrouth-sur-Atlantique". Fuyons!
À Paris, 90% des restaurants marocains proposent des couscous-merguez huileux comme la mer après le naufrage d'un pétrolier, et certains posent sur la table, sans qu'on leur ait rien demandé, de la harissa. Avec tout le respect que nous devons à nos cousins pieds-noirs (pour la merguez) et nos frères tunisiens (pour la harissa), qu'est-ce que ces deux comestibles ont à voir avec l'Empire chérifien –sans même parler de l'Empire des sens (gustatifs)? Fuyons!
(À propos de Paris, vu que ma propre tante y tenait un restaurant, rue Viala dans le 15e, où elle proposait sans rougir de la merguez et de la harissa, je lui fis un jour la remarque qu'elle commettait ainsi une sorte de haute trahison envers le pays de ses ancêtres. Elle me répondit qu'elle s'était adaptée aux clients. Ces connaisseurs très approximatifs lui réclamaient, dès leurs pieds allongés sous la table, des merguez et de la harissa. Après avoir d'abord cent fois expliqué que ce n'était pas le genre de la maison, elle en avait eu assez d'éduquer les Parisiens et s'était résolue à leur fournir ce qu'ils voulaient. Le client est roi, hélas.)
Vous me dites: "Bof, tant que les Chinois n'entrent pas dans la danse..." Eh bien si, justement. À Francfort, je l'ai vu de mes propres yeux, un supermarché commercialise du ras-el-hanout en provenance de l'Empire du Milieu. Entièrement chimique, bien sûr. Que des molécules de synthèse. On en est là. Si ce ne sont pas les signes de l'Heure, alors je ne comprends rien à l'eschatologie.
Eh bien, c'en est assez. Trop, c'est trop. Je lance un appel solennel au ministre... A propos, à quel ministre dois-je m'adresser? Peu importe, élargissons le front, je lance un appel à tous les ministres. Il est temps de protéger notre cuisine, élément essentiel de notre soft power. Après tout, Apple ou Samsung font des procès à milliards de dollars à quiconque ose contrefaire leurs produits. Pourquoi pas nous? Attaquons en justice tous ceux qui ont le front de proposer, sous le nom de "cuisine marocaine", des kebabs au gratin, des tajines dans des cartons, des mezzés, des merguez ou du ras-el-hanout chimico-chinois. Il y va de notre identité. Et il y a peut-être quelques petits millions en dommages et intérêts à ramasser. Ce serait tout bénéfice pour la balance des paiements...