La semaine dernière, dans une petite ville du nord des Pays-Bas. N’y allez pas, je l’ai fait pour vous. En arrivant à la minuscule gare (un décor de film low-cost), je regrette déjà d’avoir accepté l’invitation. Il fait un froid de canard, des rafales de vent transpercent l’infortuné voyageur et une odeur âcre le saisit à la gorge (il doit y avoir une fabrique de boudin ou de moutarde dans les environs). Que ne suis-je resté dans mes pénates, avec un bon livre et une théière odoriférante… Mais bon, la parole d’un gentleman l’oblige, comme on dit sur les bords de la Tamise.
Au moins, la petite salle de classe est chauffée. Sur l’estrade, une petite table, une carafe d’eau et un verre. Je parle pendant une demi-heure: littérature francophone, spécificité marocaine, question linguistique, etc. Puis la parole est donnée au public. Trois pelés et un tondu, ce qui est quand même un exploit en ces temps échevelés où salafistes et hipsters rivalisent de pilosité. (J’exagère, ils sont plus que quatre, au moins cinquante, mais bon, la mauvaise humeur rend injuste…)
Première question:
– Monsieur, pourquoi le Maroc ne veut-il pas organiser un référendum au Sahara?
L’homme est long et maigre, le visage inquisiteur du fâcheux international pour qui le monde est un prétoire. Je m’insurge, contrarié:
– Qu’est-ce que ça a à voir avec la littérature?
Mais le gus, militant d’une ONG mal informée ou bien agent provocateur, s’entête:
– Répondez, monsieur, c’est une question importante!
Ah là là… On n’est pas aidé. Déjà, ce temps de chien… Le boudin… La moutarde… Et puis cette éternelle question… Tout cela m’épuise. Que ne suis-je resté dans mes pénates, avec un bon livre et une théière odoriférante (bis). Et soudain, j’ai une intuition. Si la chose était anatomiquement possible, je m’embrasserais sur les deux joues d’y avoir pensé.
Puisque nous sommes dans une salle de classe, il y a là un tableau et de quoi écrire. Je m’adresse au public.
– Mesdames, Messieurs, nous ne sommes pas loin de la Frise, cette région des Pays-Bas qui est parfois agitée de velléités autonomistes. Je vous propose un jeu. Si nous devions organiser un référendum pour l’autodétermination de la Frise, qui aurait le droit de voter?
J'écris sur le tableau toutes les options: 1. Les Frisons qui habitent en Frise. 2. Tous les habitants de la Frise, qu’ils soient Frisons ou non. 3. Le peuple néerlandais dans son ensemble. 4. Tous les Frisons du monde, fussent-ils résidents de la lointaine Australie ou de la Lune. 5. Les Allemands (qui n’ont rien à voir dans cette histoire, mais bon.)
Le grand escogriffe hésite. Une petite dame au regard azur se lance:
– Tous les habitants de la Frise!
Aussitôt, une espèce de clergyman la contredit:
– Mais non, que les Frisons!
Un autre interjette:
– Mais comment définir qui l’est et qui ne l’est pas?
Et cetera, et cetera… Rassis sur ma chaise, silencieux, je laisse mon regard errer sur les murs qui sont recouverts de portraits de gloires bataves. Au bout de vingt minutes, j’interromps mes hôtes.
– Dites-moi, vous n’avez pas l’air d’accord?
– C’est horriblement compliqué, me rétorque le clergyman, l’œil colère.
– Eh bien, conclus-je, quand vous aurez réglé la question du référendum de la Frise, je reviendrai vous voir et on règlera l’affaire du Sahara. Quelqu’un pourrait-il me reconduire à la gare?