De Saint-Pétersbourg à Moscou en passant par Rybinsk, Iaroslavl et Kostroma, de conférence en débat, de cours universitaire en visite guidée de musée ou de monastère, le voyageur marocain, les yeux écarquillés, les oreilles frétillantes, essaie de tout capter, de tout comprendre, de retenir le maximum d'informations. Le pays est immense, son Histoire mouvementée, ses habitants complexes et attachants. Et pendant cette dizaine de jours intensément vécus, une petite voix intérieure ne cesse de répéter: «Comment vas-tu résumer tout cela pour les lecteurs du 360.ma?»
J'avais donc décidé de privilégier deux pistes.
La première, c'est (vieux réflexe d'ingénieur) l'étonnement devant le très mauvais état des routes: des dos d'âne partout, des nids de poules, parfois des crevasses profondes, la disparition des lignes blanches, bref, des infrastructures dignes d'un pays sous-développé des années soixante-dix. À côté de ces routes russes, les nôtres font figure de rubans immaculés offerts par la Suisse. Oui, oui, même la route côtière El Jadida-Safi de mon enfance, qui me donnait des sueurs froides, me faisait soudain l'effet d'une belle petite départementale tout à fait praticable en comparaison de l'effrayante route Kostroma-Rybinsk.
Seconde piste: le contraste violent avec l'opulence de Moscou où les infrastructures sont excellentes, les façades repeintes, l'argent roi, les BMW et les Mercedes omniprésentes. Image inoubliable: cette Rolls-Royce blanche qui roule dédaigneusement à quelques centaines de mètres du mausolée du fondateur de l'URSS. Lénine, réveille-toi, ils sont devenus fous...
J'explique donc à mon guide-interprète que j'ai été touché par l'accueil cordial et respectueux des Russes, que j'aime leur beau et grand pays mais que, par souci de vérité, je vais baser mon article sur ce contraste: la pauvreté des campagnes et la vétusté des infrastructures, d'un côté, et de l'autre la richesse et l'arrogance de Moscou symbolisées par ces grosses berlines dont chacune vaut mille fois le salaire minimum.
Hélas... La guide-interprète, qui s'intéresse à l'Empire chérifien depuis qu'elle me cornaque dans l'ex-Empire des tsars, tapote sur son smartphone et me sort un article sur le fameux “jeune homme à la Ferrari“ qui a défrayé la chronique récemment au Maroc en provoquant un accident avec sa voiture de luxe, une bouteille de champagne à la main (très pratique pour passer les vitesses). Dans ce restaurant branché de Moscou, me voici donc interloqué et légèrement humilié. Moi qui avais déjà pris un air supérieur pour lui asséner: «Quelle indécence, ces milliardaires moscovites qui se croient tout permis alors que le pays manque d'infrastructures...» J'ai piqué du nez dans mon assiette de borchtch et n'ai pas ajouté un mot...
Nos petits crétins “à la Ferrari“ ne savent sans doute pas le mal qu'ils font à l'image de leur pays. Oui, jusqu'à Moscou, je peux en témoigner...