L’affaire du ould l’fchouch qui a provoqué un grave accident samedi dernier à M’diq au volant de sa Lamborghini me touche pour deux raisons: d’abord, je me trouve en ce moment à M’diq; ensuite, pas plus tard que la semaine dernière, mon frère a failli se faire emboutir par un autre ould l’fchouch, dans la même ville.
Alors qu’il roulait dans un petit chemin d'accès à une résidence de bord de mer, chemin où la vitesse était limitée à 20 km/h, mon frère eut la surprise de voir débouler en face de lui une Porsche Cayenne qui fonçait à plus de 100 km/h et qui était en train de dépasser une autre voiture, dans un virage sans visibilité. Autrement dit, le bolide arrivait droit sur lui. S’il avait lui-même roulé à une vitesse ne serait-ce que moyenne, le choc aurait été inévitable, avec des conséquences dramatiques; mais comme il allait quasiment au pas, l’autre idiot eut le temps de se rabattre en catastrophe, le frôlant au passage. Peut-être était-il ivre, comme tant des ces moul l’Ferrari ou moul l’Maserati le sont quand ils provoquent des accidents?
Tout cela m’a amené à la réflexion suivante. Je connais plusieurs cas de ould l’f’chouch. Il s’agit de jeunes hommes qui ont eu tout ce qu’ils voulaient dans leur enfance et leur adolescence. Ils n’ont jamais eu faim, ni soif, ni froid. Ils n’ont jamais manqué de rien. Leurs parents avaient les moyens de les inscrire dans les meilleures écoles, de leur payer des cours privés, de leur acheter des montagnes de jouets quand ils étaient enfants, une grosse moto à l’adolescence, une berline dès que légalement possible. À la maison, à la villa plutôt, il y avait une flopée de domestiques: bonnes, cuisinières, jardiniers, chauffeur, gardiens…
Pourtant, les résultats ne sont pas forcément les mêmes. Voici deux cas que je connais personnellement (je modifie un peu les données pour qu’ils ne se reconnaissent pas avec certitude).
A: Il a eu cette enfance choyée de ould l’fchouch, avec des séjours linguistiques de luxe en Angleterre, le ski en hiver à Courchevel, le shopping à Paris, les virées à New York ou Los Angeles. Aujourd’hui, il gère les affaires héritées de ses parents. Il traite avec respect ceux qui travaillent pour lui et essaie de leur faire une vie confortable. Il est d’une politesse exquise avec tous ceux qu’il croise, il traite le gardien de parking avec autant de considération que le ministre avec qui il négociera après avoir garé sa voiture, il laisse des pourboires généreux au restaurant et il respecte intégralement le code de la route et sans doute toutes les lois et les règlements.
B: Il a hérité de son père une grosse entreprise de com’. Ses parents l’ont gâté au-delà du possible, lui achetant pour finir le diplôme d’une école privée aussi bidon que chère. Il joue au patron tel qu’il se l’imagine dans sa tête de linotte, cigare puant au bec, un verre de whisky à la main, exhibant une montre aussi grosse que vulgaire mais coûtant dix ans de SMIC. Il est odieux avec ses employés (qui valent tous, humainement, plus que lui), il est grossier avec tous ceux qui croisent son chemin (serveurs, petits fonctionnaires, gardiens, etc.). Il ne dit jamais merci. Il roule à tombeau ouvert dans une sorte de tank allemand, ne respecte aucune loi ni aucun règlement, rit du malheur ou de la pauvreté des autres.
Maintenant, la question est: comment, à partir du même point de départ, devient-on ould l’fchouch A ou B?
J’ai côtoyé A dans son enfance: ses parents l’ont gâté mais bien élevé, l’obligeant toujours à dire merci, à ne jamais «frimer», à ne jamais exiger de passe-droit. Ils n’ont fait aucune concession quand il s’agissait de faire ses devoirs et apprendre ses leçons, à l’école puis au lycée, où j'étais son condisciple. Courchevel ou le shopping à Paris n'étaient pas des dûs mais des récompenses pour d’excellents résultats scolaires et un comportement exemplaire. Quand j’ai lu les premières lignes de Gatsby le magnifique, j’ai immédiatement pensé à lui: «dès mon plus jeune âge, mon père m'a donné un conseil que je n'ai jamais oublié: souviens-toi toujours qu'en venant sur Terre tout le monde n’a pas eu droit aux mêmes avantages que toi».
Je n’ai connu B qu'à l'âge adulte, dans le cadre d’une pénible collaboration professionnelle, mais je crois savoir qu’il a été élevé de la façon opposée: pourri-gâté mais en plus avec l'idée que tout cela lui était naturellement dû. Et l’exemple venait de haut: son propre père était brutal et méprisant avec ses employés et avec tous ceux qui croisaient son chemin -sauf ceux qui étaient plus puissants que lui: là, il rampait. Un détestable exemple, fidèlement reproduit par sa progéniture.
Bref, un ould l’fchouch devient A ou B essentiellement à cause de l'éducation et de l’exemple que lui donnent ses parents. Ceux-là devraient donc se retrouver avec lui dans le box des accusés quand leur rejeton finit par provoquer un drame à cause de son comportement totalement irresponsable. Parce que les responsables, ce sont eux.