Parfois, c’est toute une leçon de politique économique qui se cache dans un petit dialogue. Celui-ci, je l’ai lu hier sur mon balcon dans un livre signé Alain Peyrefitte et qui s’intitule C'était de Gaulle. L’auteur y rapporte, page 528, un dialogue insolite entre le Général et Nikita Khrouchtchev, qui était alors le grand patron de l’Union Soviétique.
De Gaulle s’étonne:
– Mais enfin, Nikita, quand travaillez-vous? Vous voyagez tout le temps, vous faites des discours, vous chassez puis vous allez vous reposer en Crimée… Quand trouvez-vous le temps de travailler?
Et Khrouchtchev de répondre le plus sérieusement du monde:
– Moi? Je ne travaille jamais.
Et il ajoute:
– Pourquoi le ferais-je? Le Plan a tout prévu. Il suffit de l’exécuter. Ça, c’est le boulot des fonctionnaires.
On imagine d’ici la face interloquée du Général…
Malgré la disparition de l’Union Soviétique, ce dialogue reste d’actualité. Est-ce aux fonctionnaires de travailler, comme le pensait le camarade Khrouchtchev? Regardons la carte du Maghreb ou plus généralement de l’Afrique.
Il y a des régimes dirigistes qui comptent sur des fonctionnaires pour exécuter le Plan, quand il y en a, ou bien les lubies et les velléités des dirigeants. Quelle est la motivation des fonctionnaires? Il n’y en a pas, ils sont de toute façon payés. Inutile de dire que ces pays ne produisent rien, que leur population manque de tout, sauf quand ils disposent d’une rente pétrolière grâce à quoi ils peuvent importer tout ce qu’ils consomment. Le modèle est intenable à long terme.
Et puis il y a les pays dont la population travaille, bien obligée, sinon elle crèverait de faim. Chacun doit se retrousser les manches, faire preuve d’endurance, d’esprit d’initiative et mener à bien ce qu’il entreprend. C’est un modèle robuste. On mange ce qu’on produit.
Mais alors, à quoi servent les fonctionnaires? De Gaulle donne la réponse dans le même livre, page 254:
– Ce qui tient bon dans les coups durs, Peyrefitte, c’est le réseau des préfets et des sous-préfets. C’est l’État!
En somme, les fonctionnaires doivent faire marcher la machine de l’État, le peuple doit travailler, c’est-à-dire produire la richesse du pays, ce dont tout le monde devrait profiter.
Et les politiques, les députés, les ministres? Eh bien, s’ils arrivent à bien organiser ce qui précède, rien ne les empêche de faire comme Khrouchtchev: un speech, une bonne partie de chasse puis on va se reposer en Crimée… ou dans sa circonscription. Mais à condition de bien organiser le pays, hein!
Là est la question.