Quand ma sœur m’a appris l’existence d’un “Salon du livre usagé’’ à Casablanca, je dois avouer que j’ai éprouvé des sentiments mitigés. D’un côté, je suis tout à fait d’accord pour que les Marocains qui n’ont pas les moyens d’acheter des livres neufs puissent en acquérir à prix réduit (à partir de deux dirhams, semble-t-il). De l’autre, je me demande comment on pourrait encourager les jeunes auteurs si leurs livres ne se vendent pas, chacun préférant se fournir en livres d’occasion. Dilemme…
Mais bon, dans le doute, il faut sans doute approuver l’Association des bouquinistes de Casablanca qui organise cette manifestation avec le soutien du ministère de la Culture. S’il y a bien une Association qui mérite qu’on l’encourage, c’est bien celle-là. Vive les bouquinistes, monsieur!... et les libraires également. La lecture est, de loin, l'activité humaine la plus noble– du moins quand il s’agit de se cultiver ou d'élever son âme, et pas d’ânonner des niaiseries.
Cela dit, voilà ce que m'écrit ma sœur à propos de ce Salon:«Je me suis cantonnée à trois stands parce que j'avais déjà acheté plusieurs livres et dépensé ainsi tout l'argent que j’avais sur moi. J'ai acquis pour le plaisir deux manuels Tous à l'école de 1953– “du temps des Français”, comme on dit. Ces manuels, très bien faits, étaient destinés aux élèves du CP et du cours élémentaire des écoles dites “musulmanes”. Les deux premières pages donnaient les directions pédagogiques et puis il y avait des dessins en couleur, des thèmes comme “la ferme’’, “le souk’’, “la culture des olives’’, “le départ pour la Mecque’’, “Jeha’’, “les feux et le passage clouté’’ (voilà quelque chose que les adultes d’aujourd’hui devraient méditer)...»
Et elle ajoute:«Ce qui m’a agréablement surprise, c’est que tous les prénoms de ces livres d’apprentissage de la lecture sont marocains: Fatima, Brahim, Bachir, etc., à l’exception d’une histoire où, à côté de Brahim, il y a “son ami Paul, le fils du colon” (sic!).»
Et voici le problème:«Je me souviens que dans les livres de lecture des années 70, il y avait René, Rémi, Jean, etc. Quelqu’un peut-il m’expliquer pourquoi Fatima et Brahim, qui accompagnaient les petits “Musulmans” dans l’apprentissage de la lecture sous le Protectorat, ont cédé la place à René et Rémi dans le Maroc indépendant? Fatima et Brahim auraient-ils émigré en France pour être remplacés par des enfants de coopérants (par ailleurs très sympathiques) aux prénoms chrétiens? Y a-t-il un message dans cette affaire? Mais lequel?»
Amie lectrice, ami lecteur, je me suis creusé les méninges pendant une heure pour trouver la réponse– en vain. Si vous la connaissez, envoyez-la au 360.ma.