Combien de livres a-t-il publiés? Il ne le sait pas lui-même. «Plus d’une centaine», estime-t-il, quand on lui pose la question. Il, c’est Michel Onfray, essayiste aussi prolifique que péremptoire.
Je me suis toujours méfié de ceux qui écrivent plus vite que leur ombre. Ont-ils vraiment pris la peine d’étudier leur sujet? Peut-on traiter un jour de la psychanalyse, le lendemain du roman policier, samedi de l’athéisme, dimanche de Camus, puis de football, puis…
N’en jetez plus.
Jusqu’ici j’ai observé un silence dubitatif sur l’œuvre de Michel Onfray. J’ai lu certains de ses livres avec intérêt, à vrai dire. Mais quand les (vrais) spécialistes de Freud attaquent le brûlot qu’il a consacré au père de la psychanalyse, je me tais, n’étant pas compétent. Idem sur d’autres livres qui ont donné lieu à d’intenses débats. N’étant pas spécialiste, je me tais.
Mais voilà que Michel Onfray s’attaque à la pensée arabe dans un essai intitulé Autodafés qui paraît aujourd’hui 1er septembre aux Presses de la Cité. Et là, l’intuition se confirme. Si le bonhomme est tellement hautain et péremptoire, c’est parce qu’il ne maîtrise pas toujours ses sujets. Alors autant être agressif pour dissuader la critique.
Des preuves? En voici trois, décisives, tirées des “bonnes feuilles“ d’Autodafés publiées dans Le Point nr. 2556, daté du 12 août 2021, page 94:
1. «Ibn Khaldoun était un ennemi de la philosophie.» Pardon? On se frotte les yeux d’incrédulité. C’est à peu près aussi vrai que la proposition: «Descartes était un ennemi de la philosophie»– puisqu’il rejeta certaines élucubrations abstraites de la scolastique. En fait, Ibn Khaldoun était un penseur rationaliste, nullement ennemi de la philosophie rationaliste.
2. Averroès, notre Ibn Roshd, «professe le djihad à la grande mosquée de Cordoue». Les bras m’en tombent. Ibn Roshd prêchant le djihad… Si un Arabe écrivait «Montaigne était un fanatique religieux qui voulait brûler tous les hérétiques», trouverait-il un éditeur? C’est pourtant l’équivalent exact de ce qu’avance Onfray avec aplomb.
3. Quand il prétend citer, Onfray ne comprend pas ce qu’il cite. Pour lui, la fameuse phrase «la vérité ne peut contredire la vérité» qu’on trouve dans le Traité décisif signifie qu’Ibn Roshd voulait soumettre la science à la religion. On croit rêver –ou plutôt cauchemarder. C’est tout le contraire, amer Michel, c’est tout le contraire. Par cet axiome, Ibn Roshd voulait étendre à l’infini le pouvoir de l’investigation scientifique. Contre les religieux bornés. Contre les fanatiques du Texte révélé.
Peut-on se tromper davantage sur Ibn Khaldoun et Averroès?
Oui, apparemment. Cela fait bien un siècle qu’on ne sait plus, en Occident, ce qu’ont vraiment été la science et la philosophie arabes. La plupart des gens ignorent même qu’elles ont existé.
Il se trouve que j’ai publié il y a deux mois un essai qui explique tout ça, sous le titre Plaidoyer pour les Arabes. (Pardon pour l’auto-promotion.) Mon éditeur (Mialet-Barrault) se trouve place de l’Odéon à Paris. Il pourrait faire porter mon Plaidoyer chez Onfray en moins d’une demi-heure… Mais ce serait peine perdue: Onfray ne lira pas mon livre. Il s’en fout. Il est déjà passé à un autre sujet, son 211e livre: “La vraie vérité sur Napoléon“, “Géopolitique du scoubidou“ ou “La culture du poivron chez les Masaïs“.
Une chose est sûre, les Masaïs vont passer un sale quart d’heure.