Je n’achète jamais De Telegraaf. Pourquoi subventionnerais-je, fût-ce de quelques euros, le porte-parole du populisme néerlandais, l’organe des poujadistes sauce gouda, la feuille de chou des suppôts de l’horrible Wilders? Mais il m’arrive de le lire dans les cafés, quand il traîne sur le comptoir ou sur une table. En se bouchant le nez et en relevant les pans de son pardessus pour ne pas être reconnu par ses copains de gauche, on peut parcourir d’un œil outré la chose. Il faut savoir ce que pense l’adversaire, pour mieux le combattre, même quand il pense peu.
En général, quand il y a le mot “marocain” quelque part dans un article du Telegraaf, je saute ledit article de peur de m’énerver. Qu’ils écrivent des bêtises sur la guerre civile syrienne ou la politique de l’Égypte est déjà assez irritant mais quand ils se mêlent de parler de nous, alors là l’apoplexie menace. Il y a des limites à ce qu’un homme peut supporter.
Et pourtant… Et pourtant, lundi dernier, j’ai failli tomber de ma chaise en lisant un article du Telegraaf, en page 3. Il s’agissait d’un long texte consacré à la fusillade qui a endeuillé Marrakech la semaine dernière. Tout y était, les détails, les noms, les erreurs commises par le commando, la mort d’un innocent et les blessures subies par la jeune fille qui l’accompagnait. Et puis, dans le dernier paragraphe, totalement inattendu, un hymne à l'efficacité de la police marocaine. Selon l’auteur de l’article, jamais les poulets néerlandais n’auraient été capables de débusquer aussi vite les vilains et surtout, surtout, jamais ils n’auraient pu les obliger à révéler aussi vite (en quelques heures) le nom de leur commanditaire, un caïd de la drogue.
Amis lecteurs, je ne sais pas si vous réalisez l’étendue du miracle. Un quotidien populiste néerlandais, d’habitude pétri de préjugés et ranci de morgue chauvine, s’incline bien bas devant nos valeureux boulissis. J’en étais tout moite de fierté dans mon café usuel d’Amsterdam.
Oh bien sûr, le journaliste suggéra, à demi-mot, que les interrogatoires dans les commissariats marocains n’ont que de lointains rapports avec le thé pris à cinq heures chez madame la comtesse. À dire vrai, ajouta-t-il, on y pose les questions de façon lourdement insistante et les échanges y sont sans doute virils. Parfois un poing s’égare sur un nez qui passe par là. Mais quoi? N’est-ce pas pour la bonne cause? Les criminels méritent-ils qu’on les chatouille et qu’on leur serve du porto et des biscuits, comme dans les commissariats hollandais?
Tout cela est bel et bon, mais ceux qui comme moi sont affligés d’une bonne mémoire se souviennent quand même que depuis des lustres la presse du pays de Rembrandt ne manque jamais une occasion de taper sur le Maroc et, en particulier, sur ses agents d’autorité. Pourquoi alors cette soudaine déclaration d’amour? Est-ce parce que ce sont des Marocains qui s’occupent “virilement“ d’autres Marocains, ces derniers vivant parmi les Néerlandais? Est-ce l’expression d’un désir caché, celui de les traiter de la même façon –pif, paf, boum!– si seulement cela était permis par la loi?
Allez, assez de psychologie de comptoir. Pour une fois qu’on nous encense, profitons-en et promenons-nous le long des canaux, l’œil vif, la tête haute, fiers de nos valeureux poulets beldi.