Au théâtre “De Meervaart”, à Amsterdam, on donnait samedi dernier une pièce intitulée “Jihad”. («Ça commence bien», grognez-vous. Attendez, vous allez voir, c’est intéressant.) Donc, “Jihad”, une pièce du dramaturge Ismaël Saidi montée par Daria Bukvic et qui a reçu un accueil très favorable de la critique.
L’histoire est celle de trois amis, des Hollandais d’origine maghrébine, qui sont allés en Syrie rejoindre les djihadistes. Chacun l’a fait conformément à un rôle qu’il se donne consciemment ou inconsciemment : le premier se prend pour Superman, le deuxième se voit bien en martyr (de n’importe quelle cause) et le troisième ne sait pas très bien quel rôle il joue – en fait, il n’est sûr de rien, c’est le genre de gars qui passe son temps à se demander «Qu’est-ce que je fous là ?» d’un air morose – vous voyez le type, vous avez bien parmi vos amis quelqu’un qui lui ressemble. Arrivés en Syrie, les trois guignols trouvent une situation moins idyllique que prévu. Ils se rendent compte qu’ils ont été bernés par la propagande, par les réseaux sociaux, par leur propre crédulité. La lutte contre l’infidèle est un combat confus et l’ennemi nous ressemble furieusement.
Bon, tout cela n’est pas très original, c’est même assez téléphoné mais ça part d’un sentiment louable: il faut montrer à ceux qui sont tentés par le départ que la réalité est tout autre que celle qu’on leur fait miroiter. Les collèges et les lycées, surtout ceux où il y a une forte proportion d’enfants d’immigrés, sont donc incités à envoyer leurs élèves voir “Jihad”. Pourquoi pas? Encore une fois, l’intention est louable.
Mais hélas, avec quelle insensibilité ces choses sont parfois faites… Juste après la représentation, une dame (je n’ai pas compris qui c’était) apparut sur scène et s’adressa au jeune public. Et sa première question fut:
- Levez la main, ceux qui s’identifient aux terroristes!
Tel que. Je suppose qu’elle voulait «engager le débat», comme on dit. Mais quelle question stupide et dangereuse! Certains élèves étaient furieux. Ainsi, être d’origine maghrébine prédispose à sympathiser avec des terroristes? D’autres regardaient autour d’eux, méfiants, comme s’ils pensaient: «Il y a sûrement des flics en civil qui attendent que je lève le doigt pour me sauter dessus…» D’autres encore levèrent la main par pure provocation.
Bravo. En une seule question, tout l’impact de la pièce s’était évaporé et il ne restait plus que le sentiment d’appartenir à une communauté suspecte a priori, sentiment qui est en train de démoraliser toute une génération…