Le maillot porté par Diego Maradona lors du match contre l’Angleterre pour la Coupe du monde de 1986, a été vendu aux enchères chez Sotheby’s à 9,3 millions de dollars.
C’est une somme colossale avec laquelle on peut faire des choses utiles pour des familles dans le besoin ou des pays qui n’ont même pas de stade digne de ce nom pour permettre à leurs enfants de jouer au football.
9,3 millions de dollars dans un pays où 42% de la population vit sous le seuil de pauvreté, d’après le quotidien Pagina. Un pays à la croissance faible, d’à peine 1%. Un pays connu pour le tango et sa passion pour la musique et le football. C’est aussi le pays de Borgès et de Sabato, deux immenses écrivains du XXe siècle. C’est le pays où une dictature militaire atroce a décimé des dizaines de milliers de jeunes.
J’imagine celui qui a déboursé 9,3 millions de dollars pour avoir entre les mains un morceau de tissu qui doit sentir l’humidité et la sueur datant de plus d’un quart de siècle.
Cette personne doit avoir un rapport au fétichisme très aigu. En outre elle doit être très riche. Je comprends qu’on achète certaines œuvres d’art à des prix exorbitants. A la limite, le marché de l’art nous a habitués à ce genre d’excès qui nous laisse sans voix. C’est de l’investissement plus sûr que le marché du café ou des céréales.
J’imagine que l’objet précieux lui a été remis dans un coffre à bijoux. Encore faut-il vérifier si Maradona l’a bien porté. Porte-t-il encore quelque parfum de produits illicites consommés à l’époque par la star légendaire?
Chaque époque a ses légendes. Rien à dire. Maradona a été un très grand joueur de football. Je répète ce que j’ai toujours entendu. A présent qu’il n’est plus de ce monde, on regrette que ce maillot ne fût pas vendu de son vivant. A ce prix-là, il vendrait aussi son slip et ses chaussettes, sans parler des baskets. Une petite industrie à la maison aurait fait de lui un marchand de souvenir à des prix énormes. Avec cet argent, il aurait acheté des centaines de maillots qu’il aurait porté pendant son jogging afin que la sueur s’y imprime.
On achète des symboles. Certains ont un sens, comme par exemple le manuscrit de Marcel Proust ou du général De Gaulle. On achète la correspondance entre Virginia Woolf et son mari, entre Simone de Beauvoir et son amant américain. Mais un maillot d’un footballeur, j’avoue que cela me dépasse.
Aux autres stars des stades de sortir de leur armoires leurs habits sur le terrain. On voit bien Zinedine Zidane vendre le maillot qu’il portait en juillet 2006, quand il donna un coup de tête dans la poitrine du joueur italien Marco Materazzi, ce qui a fait perdre à la France la Coupe du monde du football.
Combien ça doit coûter? Oui, mais c’est le maillot de la défaite, et la défaite personne n’en veut.
A ce petit jeu, on peut continuer à étaler des bizarreries. Je me souviens qu’un fan de Jean-Paul Sartre ramassait ses mégots au café de Flore. Les a-t-il vendus à plus fan que lui? Je ne sais pas. Un autre faisait les poubelles d’Elvis Presley. Il ramassait tout et gardait tout.
Chez nous ce genre de fétichisme n’a pas cours. Heureusement. Nous avons même un artiste, natif d’Asilah, qui crée des œuvres d’art qui ne sont pas à la vente. Il s’agit de Khalil El Gherib, un homme d’une grande modestie qui choisit des objets de la vie quotidienne et les laisse se modifier par le temps et le climat. Cet artiste vit pauvrement et n’a jamais vendu une de ses créations. Il dit que le marché de l’art est indécent et vulgaire et que l’art doit être un produit gratuit non pollué par la spéculation. C’est ce qu’on appelle de l’intégrité pure et dure. Bravo, Khalil.
9,3 millions de dollars pour un maillot! Ça c’est de l’indécence. Mais libre à chacun de jeter son argent par la fenêtre qu’il choisit. Cela ne nous regarde pas, comme le dit un humoriste.