En 1952, l’écrivain suédois Stig Dagerman publie un texte bref et incisif dont le titre dit tout: «Notre besoin de consolation est impossible à rassasier». Deux ans après, il se donna la mort. Il venait d’avoir 34 ans.
Publié en France en 1981 par Actes Sud, ce livre, mince mais si profond, est devenu un classique. Il a une portée universelle.
Chaque fois que je prends connaissance de l’état du monde arabe, j’ai en tête ce constat. D’où viendrait notre consolation? Qui est capable aujourd’hui de sauver ne serait-ce qu’un peu, ce monde humilié, brisé dans ses espérances, dirigé souvent par des dictateurs inféodés aux Américains? L’un d’entre eux, le tunisien Ben Ali qui avait, tel un voleur, –ce qu’il était entre autres– quitté son pays, vient de mourir dans son lit et la rumeur dit qu’il sera enterré à la Mecque. Pourquoi pas à Médine, tout près du tombeau du Prophète? Même morts, les salauds continuent de persévérer dans leur crapulerie.
Des milliers d’Egyptiens sont sortis cette semaine manifester, notamment Place Tahrir, réclamant le départ d’Al Sissi. Des arrestations ont eu lieu. Toute contestation est réprimée.
Donc, besoin de consolation, ou plutôt de dignité. Oui, notre besoin de dignité est impossible à rassasier, simplement parce que cette valeur a été confisquée par des dirigeants arrivés au sommet de l’Etat par des coups d’Etat militaires ou en truquant les élections.
Encore faut-il que cette consolation prenne en compte notre liberté. Or, l’individu n’étant pas reconnu, sa liberté est ignorée.
Ainsi, un homme, un seul homme décide de déclencher une guerre contre le Yémen sans analyser les conséquences et les dangers d’une telle décision. Il parvient à convaincre d’autres Etats arabes à l’accompagner dans cette galère et le voilà aujourd’hui face à une catastrophe économique due à l’attentat contre des puits de pétrole. Non seulement la guerre contre les Yéménites n’est pas gagnée, mais voilà que par ses erreurs, les cours du pétrole dans le monde connaissent des perturbations graves.
Le Yémen, ce pays tant de fois brisé par des guerres inutiles comme celle que lui imposa Nasser en mars 1963, ne connaît pas la paix. Une guerre dont plus personne ne se souvient mais qui a détruit une grande partie de ce territoire et a fait des milliers de morts.
Oui, le besoin des peuples arabes de consolation et de dignité est impossible à rassasier.
Durant les grandes manifestations, Place Tahrir au Caire, dans les rues de Tunis et aujourd’hui dans plusieurs villes en Algérie, les slogans affichés parlent des valeurs, réclament la liberté et la justice, exigent la dignité. Les gens ne descendent pas dans la rue pour une augmentation de salaire; ce qui les motive, ce qui les préoccupe avant tout, c’est la volonté de vivre dignement, respectés et considérés.
Les peuples arabes ont besoin d’une dignité qui illumine, une dignité à la hauteur de l’époque des lumières, une dignité portée par la culture, l’exigence d’un humanisme solidaire et présent.
Chez nous, un Premier ministre n’arrive pas à former un nouveau gouvernement. C’est dire l’impasse où mène l’idéologie basée sur la religion. L’islam relie les hommes pour être au service de la dignité, pas au service des tractations du pouvoir politique qui, par ailleurs, ne répond pas aux attentes et aux demandes de plus en plus urgentes d’une jeunesse diplômée et sans travail, une jeunesse dont la majorité rêve d’émigrer n’importe où pourvu qu’elle trouve un travail et qu’elle soit respectée dans sa dignité.
L’espoir se trouve aujourd’hui mis dans l’avenir d’un petit pays, la Tunisie, qui a la meilleure constitution du monde arabe et musulman. Elle est sur la voie de la démocratie, même si le parti islamiste veille et attend son heure.
L’espoir est aussi mis sur les manifestants algériens qui, toutes les semaines depuis la mi-février sortent réclamer dans la discipline et la dignité le départ des «hommes du système», les militaires qui gouvernent le pays depuis l’indépendance. Tous les regards se tournent vers l’Algérie. Il est évident que si les «hommes du système» décident de «dégager», ils devront ensuite rendre des comptes. Cela, ils ne l’accepteront pas. Certes, notre besoin de justice est, lui aussi, impossible à rassasier.