Au Maroc, nous ne sommes pas sereins à l’égard du journalisme, qu’il soit exercé par des professionnels ou des amateurs, étrangers ou Marocains, arabophones ou francophones. Les autorités en premier lieu et le grand public ensuite nourrissent une suspicion étrange vis-à-vis de ce qui s’écrit, se filme, se dit, se raconte, comme si le Maroc était un pays vulnérable, fragile, inquiet, pas sûr de lui-même et qu’il craint une critique, justifiée ou pas, un reproche, à l’endroit ou à l’envers, bref, le ménage entre les deux entités n’est pas bon.
Les journalistes sont une «race» à part. Les plus sérieux, les plus téméraires, les plus rigoureux ont parfois payé de leur vie leur présence sur des terrains dangereux mais qu’il fallait couvrir malgré tout. Sans eux, pas de démocratie.
Chaque année, l’association Reporters sans Frontières publie la liste des journalistes morts sur le terrain, dont certains ont été kidnappés, torturés puis sauvagement exécutés. 57 journalistes ont été tués en faisant leur métier en 2016 (dont 19 en Syrie). Au Mexique, certains ont été assassinés parce qu’ils dérangeaient de gros intérêts liés aux narcotrafiquants. Durant la dernière semaine de juin, trois journalistes sont morts pendant qu’ils faisaient leur travail d’informer à Mossoul: Bakhtiyar Haddad (kurde), Stephan Villeneuve et Véronique Robert (France 2). Ils ont payé de leur vie leur courage et l’intégrité de leur travail.
Au Maroc heureusement, nous ne nous trouvons pas dans ce cas de figure. Mais pourquoi la réputation de notre pays auprès des médias n’est pas bonne ? Il faut se poser la question car aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, aucune information ne peut se dissimuler. Tout se sait et parfois en temps réel même si le faux se confond avec le vrai, l’insulte devenant une façon de réagir et de s’exprimer. Mais cela n’est pas du journalisme.
Plus on empêche des journalistes de faire leur travail, plus on en fait des martyrs qui se vengent. Cela ne sert à rien d’arrêter un journaliste ou de l’expulser. L’impact de ce qu’il va écrire ou montrer prendra une ampleur qu’il aurait pu ne pas avoir si on l’avait ignoré.
Au Maroc, une tendance ancienne mais qui est devenue plus répandue ces derniers temps consiste à confondre journalisme et agression, entretien et interrogatoire de police, interview et attaque en dessous de la ceinture, information et provocation voire diffamation avec arrogance et mépris de l’invité. Le plateau de la télévision se transforme en tribunal malveillant. Il suinte de mauvais goût, d’inculture et de grande vulgarité.
Cela ressemble davantage à ce qu’on appelle «les chamailleries du hammam» ou les règlements de compte dans des bars mal famés.
J’ai regardé quelques-unes de ces vidéos où une jeune dame très sûre d’elle, affirme des choses et pose des questions indécentes tout en se proclamant être porte-parole de la société.
Je suis désolé, mais ce journalisme-là est une méprise, un contresens, une grave erreur, une sorte d’imposture et beaucoup d’ignorance. Je ne sais pas si cette dame est sortie d’une école de journalisme ou d’un concours à celui ou à celle qui oserait poser les questions les plus indécentes, qui jouerait au juge moral et se conduirait comme si la vérité était entre ses mains. Mais le responsable de la chaîne devrait faire son travail et faire respecter les principes élémentaires de la pratique de l’interview. On a l’impression qu’elle est livrée à elle-même et fait ce qu’elle veut. Elle est tellement sûre d’elle que cela devient gênant.
Peut-être que ce genre de spectacle attire les gens. Mais est-ce une raison pour pratiquer un semblant de journalisme où la dame n’informe pas mais provoque sciemment une dispute où la vulgarité triomphe sur la pudeur et surtout sur l’exercice d’un métier où il s’agit de poser des questions dans le respect et la dignité de la personne invitée.
Faut-il rappeler que ce qui définit le journalisme ce sont trois principes, une sorte de trinité qui guide les pas du journaliste dans l’exercice de son métier : droit, déontologie, éthique.
Or cette trinité, je ne l’ai pas vue dans le spectacle que cette dame offre à ses «fans». Je rejoins Mme Hayat Jabrane, citoyenne marocaine qui a dénoncé dans le360 «la vulgarité, la violation de l’intimité, l’exploitation de la douleur et du malheur des gens» et se dit écœurée, choquée par cette émission.
Il est temps de rappeler à ceux qui s’improvisent journalistes que le journalisme est un métier noble et grave, qui a des règles et des principes, une profession qui n’a rien à voir avec l’invective et l’acharnement sur l’invité.
Cette dérive risque de contaminer d’autres médias et encourager la médiocrité, l’absence de déontologie, d’éthique et du droit. On sait que c’est facile de faire de l’audience: il suffit de n’avoir aucun principe, de ne reculer devant rien et surtout de n’avoir aucun respect pour les faits et la vérité. C’est du spectacle qui sent mauvais. C’est nauséabond, malsain et indigne.