Je me demande souvent pourquoi nos sociétés s’obstinent à ne pas reconnaître l’individu? L’individu est une entité unique et singulière, donc une liberté qui s’exprime et participe à l’élaboration d’une société moderne, démocratique et épanouie. Or nos sociétés musulmanes ont peur de cette liberté.
Chez nous, l’individu est ignoré. On lui préfère la référence au clan, à la famille, à la tribu. Tant que l’Etat se complaît dans ce déni, il n’y aura pas de réelle démocratie ni un véritable Etat de droit.
On a beau faire des élections, avoir un parlement, des partis politiques, tout cela se trouve contredit par le fait qu’on ne reconnaît pas le droit à une personne d’être ce qu’elle désire être, de faire ce qu’elle juge important pour elle et de vivre dans le respect du droit et de la loi. Mais, tant que l’Etat a le droit de venir fouiller dans votre vie intime, votre vie privée et appliquer sur vous des articles de loi obsolètes et surtout anachroniques, il est clair que nous ne sommes pas des individus libres et responsables de nos actes. Les citoyens sont infantilisés. Le gouvernement dicte notre façon de vivre, de respirer et de mourir.
Ce qu’a révélé l’affaire Hajar Raissouni, c’est l’état de l’hypocrisie et de la schizophrénie qui caractérise notre vie de citoyens sous surveillance.
Le Maroc, qui est très soucieux de son image à l’étranger, vient par cette affaire d’apparaître comme un Etat rétrograde, misogyne et en contradiction avec ses prétentions. La presse internationale s’est emparée de cette affaire et l’a traitée sur le plan politique, culturel et sociologique. Les commentaires entendus sur des radios françaises par exemple, ont été très durs pour notre pays. Les journalistes avaient raison de mettre en évidence les ambiguïtés d’un Etat qui se veut moderne sur le plan des infrastructures et rétrograde sur le plan des mœurs et des relations entres les personnes adultes et consentantes. On n’aime pas entendre des commentaires qui traînent notre pays dans la boue.
Le manifeste signé par des centaines de femmes et d’hommes se proclamant être «hors la loi» aurait dû faire réfléchir un gouvernement et arrêter ce processus judiciaire inadmissible. Paru à la première page du quotidien Le Monde, il a été repris par beaucoup d’organes de presse internationale.
Un homme et une femme, adultes et consentants, ont des relations sexuelles hors du cadre du mariage, tombent sous le coup d’une loi qui ne correspond en rien à la réalité sociologique de notre pays. Ils sont poursuivis, jugés et condamnés en dépit du bon sens et de la logique. Si cette loi s’appliquait partout et tout le temps, les prisons marocaines d’aujourd’hui ne suffiraient pas pour accueillir les centaines de milliers de contrevenants à la loi. Mais le Maroc est ainsi. Il aspire à une certaine modernité tout en gardant sous le coude un arsenal de lois iniques, anachroniques frisant le ridicule. D’un côté, il ferme les yeux sur ce qui se passe dans le domaine de plus en plus alarmant de la prostitution y compris de mineurs, de l’autre il monte en épingle l’histoire d’une journaliste qui a osé vivre une relation affective avec un homme sans que cela se fasse dans le cadre du mariage.
Le gouvernement dirigé par des islamistes ne peut qu’encourager ce genre de poursuites parce qu’il fonde son action sur la morale et ignore les libertés essentielles de l’individu. En cela c’est un défi qu’il lance à la monarchie.
Ainsi deux Maroc sont aujourd’hui face à face. Un Maroc (très minoritaire) moderne, démocratique, laïc et respectueux de la vie privée des citoyens, de l’autre un Maroc populiste, islamisé politiquement, et qui, en toute hypocrisie, joue la carte de la morale et de la vertu. Il n’est pas besoin de rappeler ici les faits divers de certains responsables islamistes pris en flagrant délit de non respect de la morale et de la vertu. Mais tant que le peuple croit à leur discours démagogique et hypocrite, nous ne pouvons que constater combien nous sommes en retard sur les libertés, sur le progrès social, sur la culture d’un imaginaire créatif, heureux et libre.
Ne me parlez plus de démocratie marocaine. Je suis désolé de vous apprendre qu’elle n’existe pas, parce que la démocratie ce n’est pas une technique (le fait de voter, par exemple) mais une culture avec des valeurs humanistes qui reconnaissent et respectent l’individu, des principes et des valeurs issus de l’éducation, du progrès social et culturel. Avec ces lois d’un autre temps, on porte un coup de frein à tout ce qui devrait mener le pays vers des horizons dominés par les notions de liberté responsable et de dignité non négociable.