Est-ce un hasard, une étrange coïncidence ou simplement par inconscience que le tribunal de Casablanca a maintenu en appel la condamnation de Nasser Zefzafi à 20 ans de prison? Ce samedi matin, les radios françaises ont toutes fait le lien entre ce verdict avec les manifestations pacifiques et dignes du peuple algérien.
L’information s’est faite en miroir et en comparaison entre les deux événements. La tentation de mettre sur le même plan le verdict du procès et l’aspiration à la liberté d’un peuple était grande. Les journalistes n’ont pas hésité et ont montré du doigt un Maroc rappelant les années de plomb où la justice n’était ni indépendante ni juste.
Nous savons que les médias ne sont pas tendres avec certains pays dont le Maroc. Pourquoi leur offrir une bonne occasion pour mettre sur le même plan un procès d’une dizaine d’hommes ayant manifesté il y a plus de deux ans et les immenses manifestations dans toute l’Algérie? La façon dont l’information a été diffusée insinue de manière à peine voilée une comparaison malheureuse entre les deux faits qui, au fond, n’ont rien à voir mis ensemble. Les responsables n’ont pas encore compris que la mondialisation de l’information devrait les inciter à éviter ce genre de coïncidence.
Je sais que le cas des mouvements de protestations dans le Rif est complexe, que cette région est très sensible, que ce que réclamaient les manifestants était juste, même si la façon était maladroite. Mais cela n’a rien à voir avec ce qui se passe en Algérie depuis le 22 février.
Sans entrer dans les secrets de la procédure judiciaire, il est tout à fait normal de conclure que ce verdict est une exagération qui pourrait avoir des conséquences graves dans le pays. Déjà le cas de Zefzafi, quelle que soit la teneur de ce qu’il a fait, passe à l’étranger pour un leader attaché à la liberté. On ne rappelle pas comment il était entré dans une mosquée et avait arraché le micro à l’imam pour faire son discours haranguant les foules. On ne rappelle pas les drapeaux d’une république du Rif qui détonnaient dans ces manifestations contre la pauvreté et la marginalisation.
L’an dernier Zefzafi a été proposé pour le Prix Sakharov (Andrei Sakharov, 1921-1989), un prix politique important, très aimé des médias, qui distingue un militant ou une organisation luttant pour les droits humains et pour la liberté. Il n’a pas eu ce prix mais il vient d’être mis sur la liste du Prix Vaclav Havel, du nom du premier président de la république tchèque, connu pour sa lutte pour la liberté. Ainsi Zefzafi est considéré à l’étranger comme une figure opprimée qui est en prison pour avoir réclamé la liberté. Rien n’est dit de ce qu’il a dit et fait et surtout de ses liens vrais ou supposés avec un trafiquant de drogue marocain installé au Pays-Bas, lequel pays refuse de l’extrader malgré plusieurs demandes de l’Etat marocain.
Le Maroc avait-il besoin d’une telle mauvaise publicité? Certes, Zefzafi a manifesté, il était devenu un leader assez charismatique. Les gens le suivaient et manifestaient avec lui. Il a commis des erreurs et des provocations, mais de là à le condamner à 20 ans de prison, comme s’il avait commis des crimes de sang, c’est trop et c’est politique, mais une bien mauvaise politique qui ne voit pas loin et qui pourrait aboutir à faire de cet agitateur un martyr de la cause de la liberté– liberté de manifester et de protester. Trois autres détenus ont été condamnés à 15 ans et 10 ans de prison pour le même chef d’accusation : «complot visant à porter atteinte à la sûreté de l’Etat». C’est grave. Un tel complot est très grave. Mais comment ça se fait que le grand public n’ait pas été mis au courant en lui montrant les preuves d’une telle tentative visant à déstabiliser l’Etat?
On ne pouvait pas ignorer le contexte dans lequel ce procès en appel a eu lieu. On aurait pu le retarder à défaut de reconsidérer la sévérité du premier jugement.
Ce matin France Inter a rappelé que tout a commencé par l’affaire du malheureux pêcheur Mouhcine Fikri «broyé par un camion poubelle» à Al Hoceima, en essayant de rattraper le poisson illégalement pêché le 30 octobre 2016.
Cette image d’un homme broyé fait un effet terrible. On imagine cet homme tendant le bras pour retenir le poisson et la machine qui l’avale et le hache sans pitié. C’est horrible. Même si on a dit et répété que ce fut un accident, l’affaire a fait beaucoup de bruit et a choqué tout le monde.
Le Maroc se développe et avance malgré tout. Mais il subsiste un peu partout des incohérences. Il y a trop de disparités, trop d’inégalités, trop de pauvreté. Les manifestations à Al Hoceima ainsi que celles en décembre 2017 à Jerada, considérée comme l’une des villes les plus pauvres du pays auraient dû fonctionner comme une alerte, une sonnette d’alarme. Mais voilà que l’Etat s’est senti menacé dans sa sécurité, ce qui justifierait en principe la sévérité confirmée du verdict de juin 2018.
Difficile de faire taire les ennemis du Maroc qui vient, en recevant le pape François, de montrer avec élégance et fermeté combien il tient à la tolérance, au respect des croyances et des convictions. Le fait que le roi Mohammed VI ait prononcé un très beau discours dans quatre langues fut accueilli comme un hommage au plurilinguisme, à l’ouverture et à la connaissance. Malheureusement, juste après, ce verdict est arrivé et a brouillé cette image. C’est bien dommage.