Le Maroc vient d’être classé par les Nations Unies 85ème sur 193 pays en matière de développement de e-gouvernement. Il a perdu trois places par rapport à l’an dernier.
Faut-il être triste et déçu? Ni l’un ni l’autre. Ce genre de classement est fait selon des règles qui ne sont pas d’une grande clarté ou précision, mais cela donne une idée sur l’image et l’état d’un pays.
Et si je vous dis que le Maroc vient d’être classé par des citoyens anonymes, de braves gens, honnêtes et sans problèmes, avant dernier en matière de services? Il ne s’agit pas d’arnaque financière, de corruption, de l’état des hôpitaux ou de la rapacité de certaines cliniques ou encore du chaos sur les routes. Il s’agit tout simplement d’une panne d’ascenseur dans un immeuble moderne, disons récent.
Vous me direz ça peut arriver n’importe où. Oui, mais ce qui s’est passé après la panne n’arrive qu’au Maroc, dans notre cher pays.
Un ascenseur qui s’arrête avec trois personnes dedans. Pas d’aération. Un bouton d’alerte qui crie dans le vide. Alors, on appelle le service d’entretien et de dépannage, le numéro 0802002025 disponible 7/7, 24/24. Ouwah ! L’affichette est jolie. Probablement copiée ou importée d’un pays lointain.
La notion d’urgence n’a pas le même sens chez nous et ailleurs. Ça sonne. Ça sonne dans le vide. Personne ne répond. Pas même un répondeur où laisser un appel au secours. Dix fois la société a été appelée. Aucune réponse. L’angoisse augmente. L’air se raréfie. Une dame est au bout de la crise de nerfs. Le concierge, gardien de nuit, est là, devant la porte bloquée de l’ascenseur qui fait moins d’un mètre carré de surface. Il prie. La famille des personnes emprisonnées arrive. Des enfants pleurent et appellent leur maman. La chaleur du mois d’août et l’absence de système d’aération rendent les prisonniers très nerveux. On imagine forcément le pire: et si l’ascenseur fait une chute, cinq étages, ce sera fatal, c’est déjà arrivé.
Finalement, après une heure, soixante longues minutes, ce sont les pompiers (excellent travail et rapidité de l’intervention) qui interviennent et libèrent les trois personnes au bord de l’asphyxie. Les membres de la famille du couple sont en larmes, des larmes de soulagement. Tout cela parce qu’un salaud n’était pas à son poste, en ce soir entre 23h et minuit. Il a dû aller dormir ou se saouler dans le bar d’à côté. La fameuse liste de Schindler allait s’allonger soixante-dix ans après le sauvetage qu’il avait courageusement entrepris. (Voir le film de Spielberg). Oui, c’est un ascenseur Schindler.
Voilà le Maroc, un Maroc qui apparaît dès qu’il y a une petite bavure, un petit faux pas. Tout remonte à la surface. L’incompétence, l’absence de sérieux, le manque total de fiabilité.
Une panne d’ascenseur s’est transformée en une crise d’identité. Le jeune couple bloqué venait de rentrer définitivement au Maroc pour investir. Inutile de vous dire que tous les projets de ces deux jeunes gens d’installation au Maroc, ce pays qu’ils aiment, sont à la révision. Une simple panne d’ascenseur remet en question tout un avenir.
On m’a dit que dans certaines villes, on construit des immeubles de plus de douze étages alors que le service des pompiers ne dispose pas d’échelle d’une taille conséquente.
Le lendemain, discussion absurde avec le responsable de l’agence d’entretien. Il est le premier à protester contre ses propres employés. Mais, cela mérite un procès, un procès de non-assistance de personnes en danger, un procès pour manquement au travail, un procès pour l’exemple. Et la justice devrait prendre cet exemple au sérieux pour donner une leçon à toutes les entreprises qui ne font pas leur travail, qui ne sont pas sérieuses et qui devraient être rayées du domaine de ce service.
Mais là, je rêve. Nous rêvons tous. Nous avons tous un jour ou l’autre eu affaire à des situations similaires et là on découvre que malgré tous les efforts que fait l’autre Maroc, le Maroc du développement et du sérieux, nous restons en majorité sous-développés, en butte à la bêtise, au mal immense causé par la corruption tous azimuts, et on se dit, finalement, si les Nations Unies nous classent mal, non seulement elles n’ont pas tort, mais devraient revoir leur copie, car nous Marocains, citoyens conscients et exigeants, nous classons notre pays parmi ceux qui sont minés par l’incompétence des uns, par la stupidité et la rapacité des autres. Lorsque le pays avance, lorsqu’il réalise quelques progrès, il le fait avant tout contre tous ces fléaux qui le bloquent et le maintiennent dans un état désespérément sous-développé.