Des femmes dignes

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ChroniqueChaque fois qu’un attentat est commis dans le monde, on se dit entre nous, pourvu que ce ne soit pas encore un musulman. C’est devenu un réflexe (…) Les femmes sur le pont de Westminster ont dit «Non», il faut se souvenir de leur geste et imaginer de nouvelles actions contre ce qui salit l’Islam.

Le 03/04/2017 à 11h52

L’autre semaine une centaine de femmes musulmanes vivant à Londres ont eu une excellente initiative: se donner la main, formant une chaîne humaine le long du pont de Westminster, là où, le 22 mars, un terroriste a tué un gardien de la paix anglais au nom d’un islam totalement imaginaire et faux. En tout, cet acte inqualifiable a fait 4 morts et 40 blessés.

Cette chaîne humaine est émouvante et importante. Des femmes se sont senties trahies et insultées dans leur culture et leur religion parce qu’un individu a commis un attentat au nom de l’Islam. Elles sont dignes et portent sur leur visage l’expression du deuil, une sorte de refus de la barbarie, un rejet de ce qui humilie et menace aujourd’hui les populations musulmanes dans le monde. Chaque fois qu’un attentat est commis quelque part dans le monde, on se dit entre nous, pourvu que ce ne soit pas encore un musulman. C’est devenu un reflexe, une habitude.

Les réactions les plus significatives sont toujours dues aux femmes dans le monde arabe. Ce sont des mères et des épouses qui ont le plus manifesté en Egypte, en Tunisie au début de ce qu’on a appelé «Le printemps arabe». Elles sont courageuses parce qu’elles se battent pour des valeurs, des principes, des droits.

Là, il s’agit de montrer symboliquement une solidarité non seulement avec les victimes du 22 mars, mais il s’agit aussi de dire au peuple britannique que l’amalgame fait entre Islam et terrorisme est une erreur et un crime, qu’il ne faut pas écouter certains hommes politiques qui cultivent dans les mentalités cet amalgame, ni suivre les prêches d’ennemis de la paix et du monde musulman, qu’il faut distinguer une religion monothéiste d’une entreprise du crime organisé à l’échelle mondiale par un «Etat» barbare qui n’a aucune légitimité et encore moins de légalité.

Le fait qu’elles portent toutes un foulard sur la tête est un signe d’appartenance à l’Islam traditionnel qui condamne le meurtre et le suicide.

Cette manifestation silencieuse et pacifique sur le pont Westminster est aussi dirigée vers le monde arabe et musulman qui, même si des personnes sont horrifiées par les actes terroristes de la part de djihadistes agissant pour le compte de «l’Etat islamique», ne manifestent pas publiquement leur désapprobation et leur condamnation de ces crimes. Leur silence, leur absence publique les font passer pour des gens qui pourraient souscrire aux actions de terreur. Ce qui est faux. Qui ne dit mot consent, dit l’adage populaire. Pourtant, tant de familles musulmanes ont été endeuillées et détruites par ce fléau qu’est le terrorisme qui se dit djihadiste.

Or, de plus en plus d’attentats sont commis en Europe au nom de l’Islam et font de plus en plus de victimes. Que ce soit en Belgique, à Paris ou à Londres, le procédé est le même. C’est pour cette raison que des musulmans devraient manifester publiquement leur condamnation de ces crimes. A force de se taire, les gens finissent par penser que cette violence est contenue dans l’Islam et qu’elle s’exerce aujourd’hui de manière brutale et arbitraire sur toute l’Europe. Des intellectuels n’hésitent pas à citer certains versets du Coran sans les replacer dans le contexte de la guerre que des tribus menaient contre le prophète. Il faut arracher l’Islam, sa culture, sa morale, ses valeurs, des griffes du terrorisme de «l’Etat islamique».

L’acte magnifique de ces femmes sur le pont de Westminster, le dos au parlement, est une façon de s’inscrire dans une lutte commune et déterminée contre le terrorisme qui ne fait pas de différence entre les victimes.

Ces femmes dignes ont compris mieux que quiconque que des gestes symboliques pouvaient apaiser les tensions qui ne cessent d’être exacerbées par des «imams» autoproclamés, ignorants ou répandant les discours de haine qu’ils reçoivent de leurs maîtres installés en Irak et en Syrie.

On ne peut cultiver le déni: des musulmans vivent et meurent en terre européenne. Au lieu de les aider à vivre dans la paix et la bonne coexistence avec des gens différents, une propagande efficace et techniquement bien étudiée sème la discorde, le recours à la violence et au meurtre.

Ces femmes ont dit «Non», il faut se souvenir de leur geste et imaginer de nouvelles actions de résistance contre ce qui salit l’Islam et les croyants.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 03/04/2017 à 11h52