J’ai beaucoup d’estime et d’amitié pour l’écrivain et journaliste algérien Kamel Daoud. Homme courageux et talentueux, il ne parle pas pour ne rien dire. Jeudi 1er octobre, il a été l’invité de l’émission Boomerang sur France Inter. Il a dit des choses fondamentales sur la liberté, ce droit non négociable menacé de plus en plus dans le monde. Il parlait en tant que maghrébin. Cela nous concerne aussi.
«Je suis, à la fois, d’une absolue futilité et d’une absolue singularité. Il n’y a que moi qui existe en tant que moi, et quand je vais mourir, il n’y a que moi qui descend dans la tombe», a-t-il déclaré. En fait, Kamel exige qu’on le reconnaisse en tant qu’individu, une entité unique et singulière, ce que nos sociétés arabo-berbéro-musulmanes ne reconnaissent absolument pas. La base essentielle des problèmes que connaissent ces sociétés vient du fait que la personne n’est pas prise en compte.
Tant que l’individu n’a pas émergé dans nos sociétés, tant qu’il n’a pas été reconnu et respecté dans ses droits et ses devoirs, nous ne pourrons pas avancer. A ce niveau, on se demande pourquoi on organise des élections, puisque la démocratie ne fonctionne que si le citoyen est libre, indépendant et respecté. Je sais, chez nous, on s’achemine péniblement vers l’Etat de droit.
C’est à cause de cette anomalie que ceux qui utilisent la religion comme idéologie de pouvoir réussissent et maintiennent le pays dans une situation de régression manifeste.
Comme dit Kamel Daoud, «la religion n’appartient à personne. On peut l’accepter ou la refuser. Je ne pense pas que quelqu’un qui se réclame de la possession d’une religion ait le droit de parler à la place d’une divinité. Nous ne sommes pas des divinités. (…) La radicalité religieuse vient d’une profonde inquiétude. Celui qui croit, veut que vous croyiez avec lui; il ne veut pas croire tout seul. Il impose sa loi. Or la loi est au-dessus de la croyance. Vos croyances, vous les gardez chez vous, et moi je garde les miennes chez moi!»
Parlant de la situation actuelle en Algérie, il dit «rêver d’un retour au présent. Le régime vit dans le passé. La colonisation a été un crime, mais nous devons assumer la décolonisation».
Ce qui est remarquable, c’est qu’il s’exprimait ainsi en étant chez lui, pas dans le studio de France Inter.
J’ai aimé entendre ces idées dites sur un ton calme et serein. Kamel Daoud est un esprit libre, il défend mordicus son droit à la liberté, il dit que ce droit doit être naturel et qu’il n’est pas négociable.
La nouvelle constitution marocaine de 2011 aurait pu être quasi-parfaite si le courant progressiste avait réussi à y inscrire le droit à «la liberté de conscience», ce droit qui permet à l’individu d’être autonome, qui a la liberté de croire ou de ne pas croire. Or, les islamistes ont bataillé pour que le citoyen marocain n’ait pas ce droit élémentaire, lequel fait qu’une société est dans la modernité, base de toute démocratie.
Non, le citoyen est traité comme un être mineur, on pense pour lui, on l’oblige à croire et on lui refuse le droit de ne pas croire. Heureusement que chez nous, l’apostasie n’est pas punie de mort comme dans certains pays musulmans. Mais c’est très mal vu de ne pas faire comme tout le monde, notamment durant le mois de Ramadan.
Seule la Tunisie, malgré la présence des islamistes, a réussi à se doter d’une constitution où «la liberté de conscience» est garantie au citoyen. Elle est unique dans le monde musulman.
Kamel Daoud réclame la laïcité dans nos pays. Il rêve.
Pour certains, la laïcité se confond avec l’athéisme, ce qui est absolument faux. Pour d’autres, la laïcité est considérée comme une liberté excessive donnée aux citoyens, capables de sortir de la Maison de l’islam.
La laïcité c’est simplement la séparation de la religion de la pratique politique de l’Etat. Chacun a le droit d’exercer sa religion, mais il n’est pas autorisé de faire intervenir la religion dans la chose publique, comme l’éducation, la politique etc. La religion reste dans la sphère privée, et la politique dans la sphère publique.
Cette séparation est saine. Elle empêche que des partis politiques utilisent la religion pour atteindre le pouvoir et l’exercer au nom de cette religion.