Au Maroc on ne lit pas ou si peu, mais on écrit.
Je me souviens d’avoir participé, il y a quelques années à Barcelone, à un débat sur la société marocaine dans le roman. Face à moi une jeune femme, vive, alerte et spirituelle. Elle est marocaine, née à Nador, écrit en catalan, parle castillan et rifain et pas un mot d’arabe. Elle s’appelle Najat El Hachmi, auteur d’un roman inspiré de son milieu familial «Le dernier patriarche». Entre nous un interprète. Elle connaissait parfaitement ce Maroc qui l’inspire dans une langue étrangère. Rifaine et rebelle. Femme libre et courageuse.
Je me suis trouvé la semaine dernière à Alicante où La Casa Mediterraneo organisait une rencontre d’écrivains marocains en langue espagnole. J’ai fait là, la connaissance d’un jeune auteur. Mohamed El Morabet, né à El Hoceima, vit et travaille à Madrid dans le musée El Prado. Son roman «Un solar abandonado» («Une parcelle abandonnée») a eu un certain succès. Il raconte l’histoire d’un enfant du pays qui revient pour l’enterrement de sa grand-mère. C’est pour l’auteur l’occasion de poser un regard critique et sévère sur la société qu’il avait laissée pour émigrer en Espagne en 2002. Un rifain rebelle qui a un bel imaginaire.
J’ai découvert à cette occasion qu’il existe une dizaine d’écrivains, hommes et femmes, nés pour la plupart dans le nord du Maroc, qui écrivent en castillan. Il y a Leila Kharoudj, née à Nador, qui a écrit un récit autobiographique, «De Vic à Nador». Saïd El Kaddoui El Moussaoui, un psychologue qui travaille dans un hôpital de Barcelone et qui a écrit un roman, «No», qui essaie de cerner la question de l’identité. Il écrit en catalan.
Abderrahman El Fathi est un poète en castillan. Il vit à Tétouan. Il vient de publier «Volver à Tetuan». Mohamed El Achiri vit au Maroc et publie à Cadix. Aziz Tazi, poète en langue espagnole, vit à Fès. Quant à Nisrin Ibn Larbi, elle écrit de la poésie en castillan et vit à Tétouan.
J’ai eu du plaisir à écouter certains parmi eux. Leur rapport avec le pays natal est quasi le même que celui des écrivains francophones. Ils sont critiques et parfois plus sévères.
Cela me rappelle les écrivains marocains qui écrivent en néerlandais, comme Mustapha Stitou, poète né en 1974 à Tétouan. Il a publié en néerlandais un recueil de poésie «Les Formes» (1994) qui a été remarqué et distingué. Le plus fameux est Abdelkader Benali qui a obtenu le Prix de la meilleure première œuvre «Noces à la mer» (traduit en France). Son compatriote, Hafid Bouazza, né en 1970 à Oujda, est connu pour son audace et sa critique acerbe de la société islamique. Il a publié «Paravion» et «les pieds d’Abdullah».
Notre ami Fouad Laroui, connu pour ses romans et nouvelles en français, est un poète aussi; il réserve sa poésie à la langue néerlandaise. Peut-être qu’un jour il nous les traduira! Ce serait dommage de ne pas connaître cet autre aspect de son talent.
En Amérique, Laila Lalami, née en 1968 à Rabat, écrit en anglais. «De l’espoir et autres quêtes dangereuses» a été traduit et publié en France par Anne Carrère.
Comment ne pas rappeler la jolie formule de Jacques Derrida «Je n’ai qu’une langue, et ce n’est pas la mienne»?
Effectivement, tous ces écrivains marocains s’expriment dans une langue qui n’est pas la leur. Le Maroc se dit et s’écrit dans autant de langues que de pays d’exil ou d’immigration. Ce serait intéressant et même passionnant de réunir tous ces écrivains éparpillés dans le monde et de les faire parler de leur rapport à la langue et au pays natal. Grâce aux services culturels hollandais, il y eut à Rabat, il y a quelques temps, une rencontre des écrivains originaires du Maroc écrivant en néerlandais.
Si on généralisait cette initiative en l’étendant à d’autres pays et à d’autres langues, on s’apercevrait qu’il y a là une richesse insoupçonnée. Que tous ceux qui écrivent, en arabe, en français, en espagnol, en catalan, en anglais, en néerlandais se réunissent et confrontent leur imaginaire dans un colloque libre et direct, surtout pas universitaire. On prendra à ce moment là la mesure de l’importance de la culture marocaine quand elle s’exprime dans des langues étrangères, en fait pas si étrangères que cela, puisque c’est le Maroc pluriel et ouvert qui se dit, s’écrit, se dessine et se donne à voir et à entendre. Encore faut-il ouvrir ces livres et les lire. Car cette diaspora s’adresse au public marocain en premier. Elle lui dit des choses qu’il n’a pas l’habitude d’entendre, lui raconte des histoires qui peuvent le déranger. Et pourtant, c’est dans cette littérature de l’exil et du malaise qu’on peut lire un Maroc intérieur où la critique est sévère, car il n’y a pas de littérature gentille, encore moins une littérature complaisante.