La critique et l'analyse objectives sont nécessaires. J’ai écouté l’autre jour une intervention dans un colloque d’un économiste marocain, Youssef Saadani. Pas de langue de bois. Pas de généralités, mais des chiffres précis, des constats clairs. Il est parti du fait que la croissance de l’économie marocaine (3%) est anormalement faible par rapport à des pays émergents comparables au Maroc. Il explique cette contre-performance par le taux très faible de l’emploi des jeunes qui est de 35% en milieu urbain, alors qu’il est de 65% dans des pays émergents ou ayant connu une grave crise comme la Grèce où il est de 60%. De même, le taux d’emploi des femmes en milieu urbain est de 15%. Ce qui n’est pas normal.
Cette faille a des conséquences dramatiques dans le pays: de plus en plus de jeunes essaient de partir ailleurs, tentant leur chance dans des pays comme le Canada qui manque de jeunes gens diplômés. Ce qu’on appelle la fuite des cerveaux n’est pas une dérive facile et plaisante. Elle est devenue, à force de déceptions, une nécessité pour certains.
Personne ne conteste la modernisation des infrastructures du Maroc, ni sa stabilité politique et la voie vers l’Etat de droit. Les réalisations depuis vingt ans sont remarquables et reconnues de par le monde. Le Maroc n’est pas dépourvu de ressources. Il a de grandes potentialités. On l’a vu, quand la volonté existe et qu’elle impose le sérieux dans le travail. La lutte contre le terrorisme est des plus efficaces.
Le problème majeur se situe au niveau de l’éducation et de la santé. On dirait que le pays s’est scindé en deux: le public et le privé. L’état de l’enseignement ou de l’hôpital public est lamentable. Du coup le privé s’est emparé de ces deux domaines vitaux et a créé un Maroc du sérieux pour ceux qui en ont les moyens, laissant de côté le Maroc des classes pauvres et même moyennes.
L’économiste Saadani nous apprend que 20% de l’éducation est payante, pratiquant parfois des prix excessifs. Il en est de même des cliniques privées qui fonctionnent à l’américaine. Il suggère d’augmenter de 20 milliards de dirhams le budget de l’éducation et de 17 milliards celui de la santé. Ce n’est pas qu’une question de moyens, c’est un problème de rigueur et d’exigence qui devraient accompagner la lutte contre la corruption. Le développement social ne doit pas être destiné à tel ou tel groupe, mais concerner tout le monde. Il faudrait un hôpital qui fonctionne pour tous, une école de qualité pour tous les enfants, de milieu pauvre ou riche. C’est là une idée essentielle. On ne va pas soigner un membre d’un corps malade, mais tout le corps.
Les inégalités sont de plus en plus visibles; ce n’est pas un gouvernement dont l’idéologie est basée sur la religion qui pourrait traiter les failles et fractures dont souffre le pays. Saadani dit: «il n’y a pas de raison qu’une religion détermine le niveau économique d’un pays ; il n’y a pas de relation entre religion et croissance».
Il va falloir cultiver «l’optimisme de la volonté» et se mettre au travail, chacun dans son domaine. Certes, si l’enseignement est souvent de mauvaise qualité, c’est parce que certains professeurs n’ont pas été bien formés. Si l’hôpital ne répond pas aux attentes des gens, c’est parce qu’il manque cruellement de moyens. Le niveau de la formation des médecins au Maroc est plutôt de qualité.
L’état de l’éducation et de la santé sont les piliers fondamentaux sur lesquels repose le développement d’une société. Il ne faut pas s’attendre à des miracles pour que les choses s’améliorent. Besoin d’une politique nouvelle, basée sur une grande rigueur et une exigence qui prennent le taureau par les cornes. C’est un travail sur le long terme. Encore faut-il s’entendre sur les bases de réformes innovantes et sérieuses. Car il s’agit de redonner envie aux parents de confier leurs enfants à l’éducation publique, obligatoire et gratuite. Comme il s’agit de soigner l’établissement hospitalier afin d’être aussi performant que le secteur privé, lequel est surtout motivé par l’argent.