Comme beaucoup de mes compatriotes, j’ai un faible pour l’Espagne. J’aime ce pays, son mode de vie, sa passion pour la fête, sa cuisine, sa culture en général, sa langue en particulier qui m’a permis de lire Federico Garcia Lorca, J.L. Borgès, Mario Vargas Llosa, Juan Rulfo, Juan Goytisolo, Garcia Marquès, et surtout Miguel de Cervantès entre autres. Je ne maîtrise pas cette langue, mais j’aime lire quelques pages de ces auteurs d’abord en castillan et ensuite traduits en français.
J’aime Luis Bunuel et son cinéma surréaliste, même s’il avait vécu et travaillé au Mexique. J’aime certains films d’Almodovar, même si une polémique entre nous deux m’a séparé de son cinéma. J’ai aimé les premiers films de Carlos Saura, comme j’aime passer des heures au musée du Prado et rêver devant les chefs d’œuvre de Goya et Velasquez.
J’aime la peinture de Joan Miro, de Tapiès et de Picasso qui n’avait pas réussi à obtenir la nationalité française…
J’ai aimé la politique audacieuse de Felipe Gonzalez. J’ai connu l’homme et je l’apprécie encore davantage. J’ai de l’estime pour Miguel Moratinos et sa politique de modération au Proche-Orient. Felipe et Miguel aiment notre pays et lui sont attachés. Mais ils ne sont plus au pouvoir.
J’aime le système d’autonomie tel qu’il est pratiqué en Catalogne et en Andalousie. J’aime leur démocratie, avec une presse diverse et de toutes tendances. J’ai longtemps écrit des chroniques dans leur principal quotidien, El Pais, ensuite dans La Vanguardia.
Cependant, comme le reste de l’Europe, ce pays a eu besoin d’immigrés pour fonctionner à la hauteur d’un Etat moderne. Autant l’immigration venue des pays d’Amérique latine est acceptée naturellement (elle est catholique), autant celle du voisin du sud n’a cessé d’être mal vue et contestée (elle est musulmane).
Cette Espagne-là, où un parti d’extrême-droite, Vox, fait sa campagne électorale avec des slogans racistes, anti-arabes, (anti-Moros, un terme particulièrement méprisant s'il en est), et anti-islam, je ne l’aime pas.
J’ai été, comme tout le monde, scandalisé par la «ratonnade» du 12 février 2000, dont furent victimes des saisonniers marocains à El Ejido en Andalousie.
J’ai été surpris et désarçonné par l’affaire de l’îlot Perejil (l'îlot Laila) qui avait failli se transformer en guerre, à l’été 2002. Parce que six soldats marocains avaient débarqué dans cet îlot se situant à 250 mètres des côtes marocaines pour y mettre en place un avant-poste, le Premier ministre de l’époque, Jose Maria Aznar (celui-là même qui avait soutenu l’invasion de l’Irak par l’armée de Bush en 2003), envoya des patrouilleurs prêts à bombarder les côtes marocaines. Il a fallu l’intervention de l’Amérique pour que le calme revienne dans ce bout de terre. (L’Algérie, avait soutenu l’Espagne dans cette affaire alors que tous les Etats arabes étaient avec le Maroc. Déjà, de la haine !).
J’ai été, à chaque fois, mortifié de constater que des Marocains qui traversaient l’Espagne pour rentrer chez eux, étaient maltraités, souvent par une police mal éduquée.
Mais on passe l’éponge, on oublie les réminiscences d’Isabelle la Catholique, qui avait conduit l’Inquisition en 1492 avec un acharnement qui laisse des traces à aujourd’hui.
J’ai appris, en lisant cet épisode du racisme catholique contre les musulmans et les juifs en Espagne, qu’il existe une couleur appelée «le blanc d’Isabelle la Catholique». Elle avait juré de ne changer de chemise qu’une fois tous les juifs et musulmans auraient quitté Grenade. Cela avait pris quelques mois. Le blanc original était bien sale. Sale comme l’entreprise d’une grande ampleur qui a marqué l’histoire des Musulmans et des Chrétiens durant plusieurs siècles.
Tout cela pour dire qu’entre l’Espagne et le Maroc, les liens sont nombreux à travers l’histoire. N’oublions pas l’occupation du Sahara, qu’elle a quitté de manière bâclée, créant ainsi un problème que l’Algérie allait instrumentaliser. Depuis, elle s’est lavée les mains de ce dossier au lieu de se ranger aux côtés du Maroc, ce que l’histoire lui recommande naturellement.
Il y a évidemment les villes occupées depuis cinq siècles, Sebta et Melilla. Aucun gouvernement, ni socialiste, ni de droite, n’a été capable, ne serait-ce que d’évoquer cette question. Le Maroc a choisi d’attendre: le jour où Gibraltar reviendra à l’Espagne, les deux villes reviendront au Maroc. Ce serait logique. Entre temps, il y eut des incidents plus ou moins graves. Des immigrés, en majorité subsahariens, ont maintes fois essayé de forcer ces frontières pour atteindre la terre européenne.
Par ailleurs, c’est le Maroc qui bloque des milliers de candidats à l’immigration clandestine, rendant un grand service à l’Espagne et à l’Europe.
L’actuel ministre espagnol des Affaires étrangères s’est énervé suite à une déclaration du ministère de la Santé concernant la gestion de la pandémie. Les Espagnols sont susceptibles! Il ne faut pas en faire une affaire. Il est temps pour l’Espagne de renforcer ses liens avec le Maroc et d’arrêter d’attendre des miracles via une Algérie qui n’a pas hésité à mettre fin au contrat de son gaz qui passe par le Maroc, prenant ainsi le risque de créer de graves problèmes de pénuries pour la péninsule ibérique.
Il est temps que le gouvernement espagnol se distingue de la position frileuse de certains Etats européens qui craignent de chagriner l’Algérie en reconnaissant la marocanité du Sahara. L’histoire avance grâce à l’audace et au courage. Il n’y a pas que les intérêts dans une relation entre deux voisins séparés par seulement 14 kilomètres.
La diplomatie marocaine devrait miser sur le travail de fond et poursuivre calmement ses efforts pour que ce voisin, quel que soit le parti qui le gouverne, se rende à l’évidence et fasse un geste aussi important que celui des Américains. Déjà les entrepreneurs espagnols dans notre pays ont pris la première place, évinçant ainsi la France. S’il n’y avait le Covid-19, nombre de Marocains se seraient déplacés en Espagne pour les fêtes, comme beaucoup de citoyens espagnols viennent traditionnellement célébrer certaines fêtes chez nous.