Un site français se demandait l’autre jour «Pourquoi aucun pays arabe n’a (encore) gagné la Coupe du monde de foot?» On pourrait répondre d’instinct: parce que le monde arabe n’existe pas ou parce que les Arabes sont encore sous le coup de la Nekba de juin 1967. Vous me diriez «quel rapport entre le football et la guerre des Six Jours contre Israël ?» Le football ne peut être isolé de l’ensemble des composants du moral et de la mémoire des peuples. Or, qu’on le veuille ou non, les peuples arabes ont été humiliés et ont accusé le coup dans le silence et la résignation.
Depuis, Israël ne cesse de développer des colonies, d’occuper des territoires appartenant aux Palestiniens, et face à cet Etat, une grande division et un manque cruel de fierté. Cela pèse sur les mentalités de manière inconsciente.
La Nekba a traversé plusieurs générations et a fait son travail consolidant une forme subtile et efficace d’humiliation. Ce n’est pas parce que les pays arabes ont été humiliés que leurs sportifs ne réussissent pas à dépasser un certain seuil. Ainsi depuis 1978, seules trois équipes ont réussi à franchir la phase des poules: le Maroc en 1986, l’Arabie Saoudite en 1994 et l’Algérie en 2014.
Le problème est plus profond. Car le football est un sport où il faut être préparé depuis plusieurs décennies. C’est un jeu collectif. Un coureur des cent mètres pourrait réussir et battre le record du monde s’il s’est entraîné de manière scientifique, constante et déterminée. Il est seul face au défi, seul responsable de sa performance. Mais quand vous avez onze joueurs, il faut qu’ils forment une équipe, c’est-à-dire un tout qui se complète et qui fonctionne comme un seul homme. Pour atteindre cette complicité, cette union absolue et sans faille, il faut du temps, de l’entraînement permanent, de l’habitude, de l’exigence et beaucoup de rigueur. Il faut aussi une grande volonté et des moyens.
Ce n’est pas parce que les Marocains aiment le foot qu’ils sont capables de produire une équipe forte et sans reproche. Le fait que la candidature du Maroc pour l’organisation du Mondial de 2026 ait été combattue par des «frères» a d’une façon ou d’une autre miné le moral des joueurs. On pourrait le dire autrement: si le Maroc avait été choisi pour 2026, peut-être que son équipe aurait été au-delà des huitièmes de finale. Certes, les Lions ont été formidables. Le match du 25 juin contre l’Espagne a été une belle réussite. Tout le monde le reconnaît, mais il leur a manqué quelque chose de difficile à esquisser. Ils ont fait beaucoup de progrès depuis que le Maroc a décidé d’avoir une politique de compétition internationale. Mais pour consolider et bien préparer cet esprit, il aurait fallu travailler sérieusement et longtemps les équipes locales.
L’esprit foot ne s’attrape pas par hasard en se promenant dans les champs. Cet esprit est aussi fondamental que les capacités physiques. Il est plus facile d’entraîner des joueurs à la résistance corporelle qu’à leur insuffler cet esprit qui fait qu’une équipe joue un ballet sur le terrain, une sorte de grâce soutenue par un fort sentiment d’appartenance. Des joueurs marocains engagés dans des équipes étrangères importantes (la Juventus, Real Madrid, Ajax Amsterdam, etc.) donnent le meilleur d’eux-mêmes avec un naturel déconcertant. On dirait qu’ailleurs ils ont plus facilement trouvé les moyens de s’intégrer à un jeu collectif qu’une fois réunis dans l’équipe nationale. Ce n’est pas de leur faute. Le pays n’est pas seulement un stade, c’est aussi une mémoire et un patrimoine.
L’Egypte, fière de Mohamed Salah, un des meilleurs joueurs du monde en ce moment, n’a pas non plus réussi à dépasser un seuil. Les quatre équipes présentes cette année, ont toutes de grands joueurs. Mais aucune n’a cette force intérieure, cette puissance spirituelle qui accompagne la force physique et donne au jeu la splendeur qu’on constate chez d’autres équipes connues pour être parmi les meilleures du monde. L’équipe marocaine de cette année n’a pas démérité, elle a été bien classée par les observateurs; elle est sur le bon chemin, le bon rythme… La prochaine fois, si elle persévère dans sa cohésion et sa rigueur, elle aura plus que de la chance, elle aura trouvé l’esprit qui mène vers la victoire.