Quand un artiste nous quitte, c’est une part de nous qui s’en va avec lui.
En l’espace de quelques jours, notre pays a perdu deux de ses grands créateurs: Mohamed Abouelouakar et Houssein Miloudi.
Je n’oublierai jamais l’émotion que j’ai eue en regardant «Hadda», le film d’Abouelouakar. Cela fait longtemps. J’avais eu la chance d’en parler avec lui et d’évoquer cette originalité acquise en partie grâce à la grande cinématographie russe. Ensuite, il y eut la peinture, aussi étonnante, aussi originale.
Malheureusement, nous avions perdu le contact. Il faut dire qu’il n’était pas du genre à se montrer partout et à se pavaner dans un espoir mercantile. Il en était de même de Houssein Miloudi, un homme fraternel, humain, rêveur et grand créateur dans une belle humilité.
J’ai connu Houssein Miloudi dans les années soixante-dix chez lui, dans son atelier, sa maison dans un quartier modeste d’Essaouira. Ce fut mon ami Edmond Amran El Maleh qui avait tenu à me le faire connaître, me disant, «entre ce que peint Houssein et ta poésie, il y a une belle fraternité».
Je me souviens d’un homme timide, parlant à voix basse, délicat, parlant très peu de son travail mais s’inquiétant des autres. Je lui avais demandé si je pouvais utiliser une de ses peintures pour illustrer mon deuxième recueil de poésie «A l’insu du souvenir» devant paraître chez François Maspero (1974).
© Copyright : Editions François Maspero
Pas une hésitation. Généreux, il me dit «je suis heureux qu’un de mes dessins figure sur la couverture d’un de tes livres».
C’est ainsi qu’une amitié était née. Nous nous sommes revus quelques fois chez Edmond à Rabat, puis le temps passant, nos rencontres se sont raréfiées.
Je suivais son travail. Sa grande discrétion faisait qu’on avait du mal à le suivre. Il quittait rarement Essaouira.
Comme vient de déclarer son ami André Azoulay «c’est une lumière qui s’éteint».
Reste son œuvre qu’on verra j’espère bientôt à l’Atelier 21. Après tout, un artiste est ce qu’il fait, ce qu’il nous donne à voir, à apprécier, à aimer. Le travail de Houssein est celui d’un artisan méticuleux qui suit des lignes et des arabesques surréalistes parfois.
Il est resté l’enfant qu’il a été, dessinant selon son instinct avec les moyens du bord. Autant Abouelouakar était dans la flamboyance, dans l’accumulation des couleurs et des personnages, autant Houssein était le peintre de la miniature, excessivement précis, mettant en avant la beauté des signes hérités de l’enfance et d’un imaginaire qui ne cesse de nous inviter au voyage.
Il a consacré plusieurs toiles à ce qu’il a appelé «Désagrégation». Il y a en effet chez Houssein Miloudi cette inquiétude de l’imparfait, de la chose qui se déchire, du paysage qui éclate, des étoiles qui chutent. Rien n’est certain. Tout est dans l’inabouti.
Fès a été une des villes qu’il a peintes. Sa vision est celle de l’artisan qui travaille le détail d’une illustration avec cependant une part qui échappe à la logique et s’envole, échappant à l’artiste.
La toile consacrée à «la paix et fraternité» (une main ouverte habitée de tous les songes) est une belle réussite. Malgré sa timidité, il osait des figures sorties des peurs enfantines.
Élève de l’école de Casa, son style s’est vite éloigné des artistes qui furent ses professeurs. Il a su prendre ses distances et trouver son style. Son originalité est ce cachet magique du signe, persévérant dans un travail méticuleux qui rejoint le patrimoine populaire du pays.
Il a vu émerger ceux qu’on appelle «les peintres d’Essaouira», et il a su rester à sa place.