Je suis encore sous le choc. Je viens de terminer de regarder la série coréenne qui fait fureur actuellement dans le monde, «Squid Game». Au début, j’étais réticent et je ne voulais pas entrer dans cette histoire étrange et à la limite du supportable.
Ensuite, je me suis laissé prendre et je n’ai pas décroché. Il faut dire que la mise en scène de Hwang-Dong-Hyeok est exceptionnelle. C’est filmé comme un de ces grands films classiques. Décors hallucinants, dialogues réduits au minimum, personnages typés représentant chacun un caractère bien défini et qui nous parle. D’où l’aspect universel du message de cette série qui a dépassé tout ce qu’on a l’habitude de voir sur les plateformes qui nourrissent notre besoin d’images.
La presse mondiale s’est penchée sur le phénomène de «Squid Game» (le Jeu du Calmar). En fait, nous sommes tous concernés par le destin de chacun de ces personnages qui jouent à risquer leur vie et espèrent partir avec un lot de 45 milliards de wons (33 millions d’euros).
Ceux qui se présentent, librement, à ce jeu, connaissent et acceptent les règles. Des jeux simples que les enfants jouent dans la cour de récréation. Sauf que là, c’est pris au sérieux. Dès que quelqu’un perd, il est abattu sur le champ. Une voix annonce «le numéro 124 est éliminé», autrement dit, mort.
Au début, les morts se comptent par dizaines. Ceux qui restent assistent au massacre sans bouger. Aucune réaction n’est possible. On les laisse sortir. Certains s’adressent à la police qui ne les croit pas. Le jeu continue et les morts sont de plus en plus nombreux jusqu’au final qui met face à face deux anciens amis.
Les candidats sont pour la plupart des gens pauvres, des hommes endettés, des chômeurs en difficulté, des désespérés au bord du suicide. Ils participent à ce jeu cruel au lieu de se donner la mort. Cette élimination des plus faibles correspond à une réalité sociale de la Corée du Sud, dont on ne connaissait que l’aspect émergeant et innovant. Le modèle coréen de la démocratie lui a permis d’être invité trois fois au sommet du G7.
Derrière cette immense métaphore, on découvre une Corée du Sud de la pauvreté, de l’injustice et de l’emprise du libéralisme sauvage imposé par la mondialisation. Cette image est tellement forte que le gouvernement coréen, s’est publiquement inquiété pour sa réputation mise à mal par cette série. Aucun Etat n’aime voir ses failles et ses faiblesses étalées ainsi face au monde.
Certes la Corée du Nord a une très mauvaise réputation. On pensait que sa sœur du sud traitait mieux ses citoyens. Voir une vieille femme devant travailler dans un marché alors que le diabète est en train de gangréner ses pieds, car elle n’a pas les moyens de se faire soigner, est bouleversant. Voir un immigré pakistanais exploité par un patron cruel qui ne le paye pas est aussi scandaleux. Chaque personnage représente un cas social. La participation au jeu, pousse chacun à révéler ses forces et ses faiblesses. Ainsi, certains qui sont normalement égoïstes, se révèlent des monstres prêts à tout pour écraser le faible et emporter la victoire. D’autres, rares, sont animés malgré tout par quelque sentiment de solidarité humaniste. Mais les sentences de ceux qui régissent le jeu sont implacables. Pas de pitié, pas de relâchement.
La séquence du jeu de la corde, que nous avons tous pratiqué enfants, est terrifiante. C’est aussi l’occasion pour le réalisateur de prouver que la force de l’esprit est plus efficace que la force des muscles.
«Squid game» est une illustration de la condition humaine mise dans des situations extrêmes. On se demande comment aurions-nous agi? Pas sûr de la réponse.
Ramené à notre société, ce jeu mortel pourrait s’appliquer à certaines situations où l’exploitation de l’homme, sa destruction par le système capitalistique, sont vécues par tout citoyen (le Marocain, par exemple) comme des humiliations intolérables.
En fait, «Squid Game» est un avertissement aux dirigeants coréens qui, tout en installant leur pays sur la scène des grands, devront revoir sérieusement leur politique sociale.
Tout part de l’injustice et de ses conséquences sur la dignité de l’homme. Nous savons que chez nous, dans le plus beau pays du monde, il existe des comportements, des pratiques que ni l’islam ni le droit n’acceptent. Pourtant, on ferme les yeux et on passe à autre chose.
Regarder «Squid Game» ne peut être innocent ou banal. On en sort lessivé, plein de doute et de questionnements. La réussite de la série réside là, dans ce qu’un produit purement coréen puisse concerner un public si éloigné de la sociologie asiatique. Si le nouveau gouvernement a un peu de temps, il serait utile de lui organiser une projection, non de toute la série, mais d’un résumé bien choisi.