Depuis que je suis confiné chez moi, je pense au temps que nous perdons, en période normale, dans nos agitations quotidiennes, aux futilités et aux apparences qui nous gouvernent. Là, le temps est pour le moment un ami. Mon agenda est fermé. Tout a été annulé. Il ne sert plus à rien. Cela repose un peu des sollicitations multiples et souvent sans nécessité. Si je ne sors pas de la maison, si je ne rencontre personne, je me protège contre le virus. Cette protection, je l’accepte sans protester. Le temps s’est installé chez moi. Il est généreux et surtout ne me contrarie pas. Il coule doucement et je le regarde passer comme s’il était dans un sablier. Il est chez moi comme un invité imprévu qui prend ses aises sans que je sache pour combien de jours ou de semaines.
Là, des livres mis de côté me font signe. Cela fait longtemps que j’avais envie de les lire, mais par manque de temps, je les rangeais sur ma table de nuit. Maintenant, je plonge quotidiennement dans le premier tome des œuvres complètes de Roberto Bolano, poète et romancier chilien, mort à 50 ans en 2003 (éditions de l’Olivier). Une somme de liberté, d’audace et d’imagination de haute qualité; une vie passée à écrire la vie, c’est à dire la poésie, à rêver, à raconter le Chili, le Mexique, les amis, les chansons dépourvues de sens.
Je relis «Pedro Paramo», le roman du mexicain Juan Rulfo, qui a tant inspiré Garcia Marquez pour «Cent ans de solitude», et pour finir la journée, j’écoute Mahmoud Darwich réciter certains de ses poèmes qu’un ami avait enregistrés. J’ai la chair de poule. Mahmoud n’est plus là, mais toute sa poésie nous invite à rejoindre son âme, ses voyages dans une valise d’un hôtel à un autre. Mahmoud nous manque beaucoup. Les éditions Sindbad, Actes Sud, viennent de publier «Hot Maroc», de Yassin Adnan, un écrivain marocain que je découvre avec un bon appétit. Je vous en parlerai bientôt.
Certains films classiques que je n’ai pas eu le temps de voir ou de revoir, sont là. Ils meublent mes heures d’insomnie. En ce moment ce sont les chefs d’œuvre de Lubitsh qui m’enchantent: «Le ciel peut attendre», «To be or not to be», «La folle ingénue», etc.
Mes journées sont lentes et silencieuses. Je vais enfin en profiter dans le calme et la sérénité. Surtout ne pas allumer la télé. Un seul sujet: le coronavirus. Combien de victimes en Italie, combien de cas inconnus. Des experts de partout parlent et nous font peur. La mort s’est invitée un peu partout et elle a réussi quand même à faire taire M. Trump. La mort, paraît-il, vise en particulier les personnes âgées qui sont à risque. Je me mets dans le lot, même si je prends toutes les précautions qu’on me conseille.
Une sélection sera faite sur la base de l’espérance de vie; ça craint, comme on dit. Par manque de lits et de matériel médical, on sera obligé de sacrifier les patients contaminés, à un stade avancé, et âgés. Je me vois condamné par cette logique qui fait froid dans le dos. J’en parle à mon médecin, un ami d’enfance; il est, lui aussi, cloîtré dans sa maison et ne voit personne. Seul moyen de ne pas connaître les affres de la sélection.
Tiens, j’apprends que Trump a interdit aux citoyens européens l’entrée aux Etats-Unis. Y compris les Britanniques et les Irlandais, épargnés un certain temps. Le Maroc suspend tous les vols internationaux. Impressionnant!
La veille, un ami m’a dit «tu devrais aller au Maroc, c’est un pays épargné, pour le moment, puis il fait chaud, et le virus craint la chaleur». Oui, comme le dit la chanson d’Aznavour, «(…)emmenez-moi au pays des merveilles; il me semble que la misère; serait moins pénible au soleil». La misère ou la mort.
Oui, le Maroc, le plus beau pays du monde n’a enregistré que très peu de cas (29 patients, pour le moment). Mais plus personne ne peut y accéder à partir de l’étranger. Tant mieux pour les Marocains et bravo aux autorités qui ont pris des mesures à la fois précoces et drastiques pour faire barrage à la propagation de l’épidémie.
J’en profite pour conseiller à mes chers compatriotes de cesser les embrassades. Avec les risques qui menacent, enfin, on évitera les bises systématiques que les hommes se font de manière automatique. J’ai toujours été gêné par cette manière de se faire la bise alors qu’on se connaît à peine. En principe, il faudrait réserver la bise aux dames. Mais voilà que le coronavirus se charge d’annuler cette mauvaise habitude. On ne se serrera plus les mains. Tant mieux. Que de fois des mains moites se tendent vers d’autres sèches. Difficile de faire remarquer à l’homme qui vous tend sa main, qu’elle est moite et molle. Non, ça ne se fait pas. Le Coronavirus, nous permet dorénavant de nous saluer comme des Japonais, mains jointes et le corps légèrement penché en signe de respect. C’est plus élégant et cela évite, même en temps de paix, de cueillir un quelconque virus qui se balade entre les mains.
Enfin une dernière petite remarque : le monde qui consacre chaque année deux mille milliards de dollars pour l’armement, est incapable de mettre fin à un ennemi de l’humanité, invisible à l’œil nu, parti d’un marché en Chine où l’hygiène n’a pas été respectée. Cela étant, je ne pense pas que l’homme saura tirer les leçons déterminantes qui s’imposent à lui qu’il soit chinois, américain, africain ou européen. Hier, c’était le virus Ebola (ça tuait surtout des Africains), aujourd’hui c’est le Covid-19, il tue sans distinction. Et l’homme reste incorrigible.
Et comme le dit un slogan: « RESTECHEZTOI ».