Un ami espagnol, rencontré récemment à Tanger, m’a demandé de lui expliquer le conflit entre l’Algérie et le Maroc à propos du Sahara. Il voulait savoir aussi quel rôle a joué l’Espagne dans cette histoire. En pédagogue averti, je lui ai raconté les tenants et les aboutissants d’une histoire devenue avec le temps une cause sacrée pour le Maroc.
Cette chronique lui est dédiée.
L’Espagne a occupé le Sahara de 1884 à 1976. Son départ a coïncidé avec l’agonie du Général Franco. D’où une décolonisation bâclée. Le 6 novembre 1975, 350.000 civils marocains et 20.000 soldats entrent à pied, pacifiquement, dans ce territoire qui faisait partie du Maroc. Par cette «Marche verte», le Maroc et son défunt roi Hassan II, voulaient signifier la récupération d’un territoire qui lui appartenait puisque les chefs des tribus de cette région faisaient allégeance à la monarchie de Rabat. Mais les voisins n’ont pas été de cet avis, notamment l’Algérie. Quant à l’Espagne, heureuse de sortir de la période franquiste, elle se désintéressait de cette affaire.
Pourtant les accords de Madrid abandonnent le Sahara au Maroc et à la Mauritanie, une façon de se débarrasser d’une colonie qui n’intéressait pas outre mesure les Espagnols.
La Conférence islamique, tenue à Casablanca en mai 1976, approuva la récupération par le Maroc d’une partie de son territoire. L’Algérie, représentée par son ministre des Affaires étrangères, Abdelaziz Bouteflika, ne s’opposa pas à ce fait. Mais dès son retour à Alger, le ministre et son président, Houari Boumédiène, déclarèrent leur refus de cette récupération et créèrent un mouvement de libération du Sahara, appelé Polisario. A partir de ce jour, un conflit naquit entre les deux pays dits «frères» et cela se poursuit jusqu’à nos jours.
Il est important de souligner que l’Espagne a colonisé une région au sud du Maroc, de la même façon qu’elle a colonisé une région au nord du Royaume. Depuis que la terre existe, il n’y a jamais eu un Etat ou même un semblant d’Etat qui s’appelle le Sahara occidental ou la RASD. Cette «république» est une œuvre commune de Houari Boumédiène et de Mouammar Kadhafi.
Le Sahara devint une des principales préoccupations du Maroc qui ne pouvait pas accepter que son intégrité territoriale soit ainsi contestée, voire empêchée.
Plusieurs fois, les deux pays furent au bord d’une guerre fratricide. Des combats eurent lieu entre l’armée marocaine et le Polisario. En 1991, un cessez-le-feu a été signé entre les parties prenantes à ce conflit. Le Polisario étant soutenu, financé et armé par l’Algérie. En Espagne, le parti d’extrême-gauche, Podemos, est devenu le meilleur soutien du Polisario.
Aujourd’hui, la donne a changé. Les «Accords d’Abraham» ont été le dernier acte de politique étrangère de Donald Trump. Ils proposaient la normalisation des relations avec Israël et certains pays arabes. Dans le package de ces accords étaient inclues la reconnaissance par les Etats-Unis de la marocanité du Sahara et l’ouverture d’un consulat dans la ville de Dakhla.
Pour le Maroc se posait alors le problème de la cause palestinienne, d’autant plus que le roi Mohammed VI est le président du Comité Al Qods qui veille sur le respect de la partie palestinienne de Jérusalem.
Tout en réitérant son soutien à la cause palestinienne, le Roi décida d’accepter le deal proposé par Trump. Une manifestation de protestation devant avoir lieu face au parlement à Rabat fut interdite. Mais la majorité des Marocains accueillirent les accords d’Abraham avec enthousiasme surtout que ce pays n’a jamais rompu ses liens avec sa communauté juive installée en Israël et dans d’autres pays. Chaque année, plus de 70.000 juifs visitent le Maroc de leurs parents ou grands-parents et certains font des pèlerinages autour des saints juifs, célébrés en même temps par musulmans et juifs.
Certes, avec le départ (dont certains étaient forcés) des juifs vers Israël, le Maroc a perdu une partie importante de son capital humain, un pan entier de son identité riche en diversité.
A l’indépendance du Maroc, on comptait 280.000 juifs, dont 90.000 installés à Casablanca, une ville à l’époque de 300.000 habitants. Aujourd’hui, ils sont au nombre de 2000!
Ceux qui sont partis, ont été, dans leur majorité, mal accueillis en Israël. Ils ne s’y sentaient pas bien. Mais le cours de l’Histoire ayant pris un chemin violent et injuste, le Maroc a été ainsi privé de ce capital.
Il lui est difficile de le récupérer aujourd’hui. Le moins qu’il puisse faire, c’est d’enseigner cette culture et l’installer dans l’histoire du pays.
Il ne faut surtout pas confondre la population juive marocaine avec l’Etat d’Israël, qui, lui est une entité politique qui encourage des colonies dans des territoires appartenant aux Palestiniens.
Les juifs et les musulmans ont prouvé durant des siècles qu’ils étaient capables de créer ensemble une culture où les deux sensibilités, les deux imaginaires se retrouvaient enrichis. L’historien juif marocain Haïm Zafrani le rappelle dans un entretien au quotidien Le Monde: «avant 1492, les deux rives de la Méditerranée étaient liées. Rien ne distinguait l’Andalousie du Maghreb. Même après l’exil et l’Inquisition, il y a eu une continuité dans ce mode de vie, surtout au Maroc. Il fallait le rappeler en s’appuyant sur des documents objectifs, en citant des textes. Car certains avaient intérêt à occulter ce partage et cette civilisation où il y avait des apports des deux côtés».
Ainsi juifs et musulmans ont vécu ensemble dans la paix et le partage durant des siècles. C’est tout à fait normal que le Maroc invite ceux qui ont dû le quitter dans des conditions dramatiques de revenir. L’information a été accueillie par des chants et des danses dans les milieux marocains en Israël.
Ainsi, le Maroc fait d’une pierre deux coups. Il reçoit la légitimité de son intégrité territoriale de la part de la puissance américaine, en échange il normalise ses relations avec l’Etat d’Israël avec lequel il avait déjà eu des liens. Un bureau de liaison avec Israël avait été ouvert à Rabat le 4 juillet 1994 et fermé le 21 octobre 2000 au lendemain de la deuxième Intifada.
L’Algérie réagit vivement, considérant que «l’ennemi sioniste est à ses portes». Pendant ce temps-là, d’autres pays décident d’installer leur consulat à Laâyoune ou à Dakhla, une façon symbolique de consolider la marocanité d’un territoire disputé par le voisin algérien. Quant à l’Espagne, elle affiche depuis la conclusion des Accords d’Abraham une neutralité sans bienveillance, alors qu’elle aurait tout à gagner à s’impliquer pour que les Sahraouis, réfugiés en Algérie, regagnent leur région, bénéficiant d’une réelle autonomie sous souveraineté marocaine, et prennent part à son essor. La paix et la sécurité nécessitent davantage de courage que le maintien d’un statu quo qui ne peut pas aller à rebours de l’Histoire.